LES CHAKRAS ; UNE EXPLICATION CHRÉTIENNE

Jean-Robert Dupuche

jeandupuche@gmail.com

www.johndupuche.com

Je tiens à remercier Prof. Jean-Marie Gueullette, Directeur, Centre Interdisciplinaire d’Éthique, Lyon Catholic University, de m’avoir invité à rédiger ce texte.

TABLE DES MATIERES

Introduction

Les six chakras

  1. Sur la source et le fondement (mūlādhāra )
  2. Sur l’emplacement du soi (svādhiṣṭhāna)
  3. Sur le lieu du ‘joyau’ (maṇipūra)
  4. Sur ce qui n’a pas été frappé (anāhata)
  5. Sur ce qui est pur (viśuddha)
  6. Sue le siège de l’autorité (ājñā)

La plénitude

 

INTRODUCTION

Pourquoi ce livre ?

Le terme ‘chakra’ fait partie de la langue courante, tout comme ‘mantra’. Pour certains le mot n’a pas de sens, pour d’autres il paraît quelque peu farfelu. Pour d’autres encore il fascine ; il fait même preuve d’une grande soif de découvrir en le corps un trésor caché, source de merveilles.  Pour eux il serait prometteur d’une joie sans pareille et serait même doué d’un caractère divin. Il accorderait une autonomie spirituelle et une découverte du soi. Leur soif est d’autant plus intense du fait qu’ils veulent comprendre comment ce monde si souvent rangé et planifié, exploité et épuisé, puisse redevenir séduisant et   étonnant.

C’est l’Inde, sur la base des expériences intenses des yogis, qui a examiné et décrit les chakras d’une façon systématique mais ces centres sont perçus par tout le monde même si obscurément, ce que démontre le langage, comme on verra.

Selon la tradition hindoue, la méditation sur les chakras est un genre d’alchimie qui remanie ce corps banal et éreinté, méprisé et périssable à tel point que le laid devient beau, l’abruti devient lucide, et le corruptible devient immortel.

Le christianisme promet aussi une valorisation du corps. Les évangiles (Mt 17 :1-8, Mc 9 :2-8, Lc 9 :28-36) rapportent que

« Jésus prend avec lui Pierre, Jacques et Jean son frère, et les emmène à l’écart sur une haute montagne. Il fut transfiguré devant eux ; son visage resplendit comme le soleil, ses vêtements devinrent blancs comme la lumière. »(Mt 17 :1-2)

Il laisse apparaître sur son visage et même dans ses vêtement la gloire qui lui est propre. La scène concerne aussi le sacrifice, car le Christ glorieux parle avec Moise et Elie au sujet de « son départ qui allait s’accomplir à Jérusalem » (Lc 9 :31) : c’est-à-dire de sa crucifixion et de sa résurrection. Sa gloire va de pair avec son humiliation. C’est parce qu’il est glorieux qu’il sera sacrifié ; c’est parce qu’il « se dessaisit de sa vie pour ceux qu’il aime « (Jn15 :13) qu’il est glorieux.

Cette scène représente en même temps une anticipation inattendue de l’avenir de ceux qui s’identifient au Christ, comme dit S. Paul : « le Seigneur Jésus Christ transfigurera notre corps humilié pour le rendre semblable à son corps de gloire » (Ph 3 :20-21).  Paul ajoute que « le Christ a aimé l’Église et s’est livré pour elle ; … il a voulu se la présenter à lui-même splendide » (Eph 5 :25, 27)

Cet avenir surprenant consiste en la transfiguration non seulement du corps mais de toutes les facultés aussi. Il y aura plénitude de joie et de lucidité, de beauté et de santé, mais surtout de gloire et de divinisation. Pourtant, cet avenir est sans narcissisme ou individualisme exagéré, car la découverte de soi est également la découverte des autres et de Celui qui est la source et la fin de tout.

L’interprétation des chakras dans ce livre n’est pas ‘gnostique’ si par ‘gnosticisme’ on veut dire que c’est la compréhension seule qui justifie. Au contraire la méditation sur les chakras est un acte de foi qui est « un moyen de connaître des réalités que l’on ne voit pas »(Hb 11 :1), car c’est de la base obscure – le premier chakra – que tout se manifeste. Le premier chakra n’est pas une ignorance mais une connaissance cachée qui se révèle progressivement dans la suite des chakras.

Ce livre étudie le Ṣaṭcakranirūpaṇad’une façon objective, mais ce n’est pas simplement par curiosité. Les chakras ne peuvent pas être proprement compris ‘de dehors’ ; ils doivent être expérimentés ‘de dedans’. La clarté qui rayonne de ces chakras brille plus intensément que la lumière de la raison seule. Elle n’est pas une clarté illusoire, car ce qui se dégage est perçu objectivement et exprimé avec la précision du langage. C’est une expérience lucide qui se renforce par une description exacte. Il s’agit de ce qu’on appelle ‘la théologie spirituelle’ où l’expérience personnelle est sciemment exprimée. C’est bien une clarté personnelle, mais elle possède aussi une valeur universelle. Ce qui arrive authentiquement chez l’un est disponible aux autres. Par exemple, les perceptions du même œuvre d’art différent et, lorsqu’elles sont partagées, permettent à tout le monde d’apprécier l’œuvre plus amplement. De même l’expérience personnelle des chakras montre à tous la richesse de l’être humain.  Le particulier jouit d’une valeur universelle.

Toutefois cette interprétation des chakras est partielle car elle vient d’un point de vue masculin. L’interprétation féminine est essentielle à la compréhension des chakras. L’interprétation est partielle aussi du fait qu’elle est le travail d’un point de vue chrétien et catholique. La divergence des interprétations constitue quand même un avantage car elle aboutit à une perception plus riche de la splendeur de l’homme et de la gloire de l’Indicible.

Pourquoi ce texte ?

Pourquoi le Ṣaṭcakranirūpaṇaprécisément. Pourquoi six chakras ? Notre choix est, d’un certain point de vue, arbitraire.

Les Yoga Sūtrasde Patañjali – on ne sait pas s’il a vécu dans le deuxième ou premier siècle avant ou après J.-C.[1]– parlent de la concentration sur le nombril (3.29) qui fait connaître la constitution du corps ; et sur le creux de la gorge (3.30) qui donne la capacité de vivre sans nourriture ou breuvage. C’est tout. Rien de plus. La tradition bouddhiste du Guhyasamājatantra qui date du quatrième siècle de notre ère[2]mentionne quatre chakras qui correspondent au 6, 5, 4 et 3 de nos six chakras.[3]Le plus ancien texte hindou qui mentionne ces six cakras date du huitième siècle ; c’est le Mālatī-Mādhava, pièce de théâtre deBhavabhūti.[4]On retrouve ces six chakras dans les versets 15-16 du Gorakṣaśataka,[5]œuvre attribué à Gorakṣanātha (12esiècle au plus tard),[6]le fondateur de la tradition yogique des Nātha. Ces versets nomment les chakras et dénombrent les pétales de chaque chakra, ce qui monte l’importance de ce détail. Le commentaire deLakṣmi Nārāyāṇa sur le Gorakṣaśatakamentionne seize chakras.[7]  Les versets 4-5 du Yogacūḍāmaṇi Upaniṣạdqui date d’environ le quinzième siècle énumèrent les six chakras et leurs pétales ; les versets 7-14 ajoutent d’autres détails.[8]  Ce n’est donc que lentement que les six chakras sont élaborés.

Le Ṣaṭcakranirūpaṇaest le sixième chapitre d’un texte plus long, le Śrī-tattva-cintāmani[9]texte bengali de Pūrṇānanda qui date de 1577.[10]Il fait partie du ‘Tantrik Texts Series’, dont le premier texte fut publié en 1913 et le dernier en 1940, par lequel Sir John Woodroffe (1865-1936), juge à la cour suprême de Calcutta, a initié l’étude moderne occidentale des tantras. Woodroffe proclamait la valeur du tantrisme et insistait sur la compatibilité du tantra avec sa propre foi catholique. Par contre, Sir Monier Monier-Williams (1819-1899), indologue célèbre, déclare que « dans le tantrisme ou le shaktisme, l’Hindouisme est arrivé à la dernière et la pire étape de son développement médiéval. ”[11]

Les devanciers du Ṣaṭcakranirūpaṇamontrent qu’il n’est pas original, mais il est célèbre. Il fut publié avec un autre texte, le Pādukāpañcaka,pour la première fois en 1919 sous le titre The Serpent Powerdont Carl G. Jung (1875-1961) possédait une copie.[12]

A Zurich, du 3 au 8 octobre, 1932, l’indologue Wilhelm Hauer (1881-1962) a fait six conférences sur le yoga et les chakras tels qu’ils sont décrits dans le Ṣaṭcakranirūpaṇaet quelques Upanisads. En réponse, Jung a fait quatre conférences, le 12, 19, 26 octobre et le 2 novembre, qui présentent une interprétation psychologique de la kuṇḍalinīyoga.[13]Il souligne le fait que le symbolique du Ṣaṭcakranirūpaṇalui a permis de mieux comprendre les maladies psychiques et la raison de l’emplacement physique des symptômes. [14]Il donne des exemples : la colère mène à la jaunisse ; la peur provoque la diarrhée.[15]Il déclare :

« Nous sommes reconnaissants au tantra yogique car il nous donne les formes et les idées par lesquelles nous sommes capables d’exprimer les expériences chaotiques que nous subissons. » [16]

Il est fortement influencé par Ṣaṭcakranirūpaṇaet c’est la célébrité de Jung qui explique en grande partie la prédominance de ce texte.

Toutefois, Sonu Shamdasani considère que Jung arrive à une hybridation de termes qui n’est ni ‘orientale’, ni ‘occidentale’.[17]Gopi Krishna, de sa part, estime que les savants qui assistaient à ces conférences ont fait preuve, de par leurs commentaires, de ne comprendre absolument rien du Ṣaṭ-cakra-nirūpaṇa.[18]

Ce travail veut éviter ces pièges. Ce livre n’est pas un essai d’hybridation, ni un mélange de concepts incompatibles. La méthode que nous suivons est tout autre.

Quelle explication ?

Il ne s’agit pas d’étudier le texte du Ṣaṭcakranirūpaṇad’une façon purement académique. Certes, nos élucidations du texte sont objectives et exactes, mais nous allons plus loin. Cette étude se sert de la méthode dite ‘théologie comparative’ développée par Francis X. Clooney[19]qui la définit ainsi :

« La ‘théologique comparative’ … désigne ces actes de foi qui cherchent à comprendre,[20] ces actes de foi qui s’enracinent dans une tradition croyante particulière mais qui, de ce fondement s’aventurent à apprendre d’une ou plusieurs autres traditions. » [21]

Cette forme d’interprétation fait suite à la proclamation révolutionnaire de Vatican II : « L’Églisecatholique ne rejette rien de ce qui est vrai et saint dans ces religions. » Cette phrase s’applique aussi à l’étude des chakras. Ce qui est vrai et saint dans la tradition hindoue des chakras est recevable aux chrétiens.

Cette méthode ne s’approprie pas les richesses d’une autre tradition. Elle n’exploite pas ; elle ne fouille pas. La théologie comparative n’est pas identique à la ‘religion comparée’ qui étudie les ressemblances et les dissemblances. Elle ne passe pas de commentaires sur la vérité de l’autre tradition. Elle n’est pas réductionniste, dans le sens qu’une doctrine différente n’est comprise que selon les éléments de sa propre croyance, de sorte que les différences sont escamotées.  Ce livre n’est pas une imposition des doctrines chrétiennes sur les chakras mais au contraire une découverte des données chrétiennes à la lumière des chakras. Cette façon d’interpréter n’aboutit pas au syncrétisme ou à un mélange irréfléchi et risible.  Plutôt, la théologique comparative consiste à mieux comprendre sa propre foi à la lumière d’une autre. Elle est l’illumination d’une l’illumination.

Il s’agit donc d’un apprentissage. Le christianisme a besoin de cet enseignement ; il ne peut devenir pleinement lui-même qu’en apprenant des autres. C’est un acte d‘humilité et d’émerveillement devant l’autre. On découvre l’évangile en découvrant ce qui vient d’ailleurs. C’est comme si les chrétiens seraient évangélisés de nouveau par ce qui n’est pas chrétien. Ceci leur est une bonne nouvelle, dans le sens non pas qu’elle leur apporte ce qu’ils n’ont pas, mais dans le sens qu’elle les fait découvrir ce qu’ils ont déjà. Sans elle les chrétiens ne se comprendraient pas pleinement.

L’inverse pourrait se faire. Les initiés hindous pourraient, par le même moyen de la théologie contemplative, se pencher sur le kérygme chrétien et ainsi se rendre compte de l’ampleur de leur propre tradition, et découvrir ce qu’ils n’ont jamais supposé mais qui est bien là.

Lathéologique comparative commence donc par la perception de la vérité d‘une autre tradition.Ce n’est pas par intérêt académique seul, affaire purement de connaissance, car ce qui est connu uniquement par l’intellect est éventuellement mis de côté et oublié, car il ne touche pas la personne. Il est sans mystère, et finit par être banal. Il s’agit, dans la théologique comparative,d’attirance et d’émerveillement progressif face à des découvertes toujours plus vastes.

En tant que chrétien, je reconnais, obscurément peut-être, que cette autre tradition est valable pour moi. J’en apprécie la vérité existentielle, non pas purement intellectuelle. De fait je me ressens devenir plus moi-même en contemplant cet autre.  Il ne s’agit pas d’un rejet de moi-même, ni d’un reniement de ma tradition chrétienne. Au contraire la conviction chrétienne se renforce. En regardant l’autre je vois plus clairement l’essentiel en moi : mon identification avec le Christ, car le point de départ pour tout chrétien est son indentification au Christ. S. Paul l’a dit, « Je vis, mais ce n’est plus moi, c’est Christ qui vit en moi. » (Ga 2 :20)

Comment mieux comprendre mon appartenance au Christ, comment mieux comprendre le Christ lui-même ?  Quelle est la lumière que l’enseignement du Ṣaṭcakranirūpaṇajette sur la lumière qui est le Christ ? En quel sens est-ce que les chakras le révèlent ?  On ne fait que commencer à découvrir le mystère du Christ, et ce sont les autres religions qui vont aider à le manifester.

La méthode de théologie comparative ne finit pas par ajouter au christianisme ce qui n’est pas déjà là. Jésus le dit lui-même : « … tout scribe instruit du Royaume des cieux est comparable à un maître de maison qui tire de son trésor du neuf et du vieux » (Mt 13 :52). Il fait sortir ce qui ne fut jamais perçu jusqu’alors. Ce livre a l’ambition de faire précisément cela.

Selon la théologique comparative l’acte de foi cherche à apprendre, mais ayant appris il reconnaît que la tradition étudiée contient une vérité qui reste réservée aux initiés de cette tradition, et qui sera à jamais hors de portée. Il reconnait qu’ils sont saints, c’est-à-dire qu’ils sont essentiellement autres et donc qu’ils possèdent une dignité irremplaçable. Toutefois, lathéologique comparative admet une parenté entre les traditions. Il y a une résonance, comme dans la musique lorsqu’une note fait vibrer les harmoniques. Il y a une même source qui touche tous les croyants. Les différences irréconciliables entre le christianisme et l’hindouisme permettent une perception en profondeur tout comme les deux yeux et les deux oreilles, qui ne perçoivent pas exactement de la même façon, laissent repérer la distance et la direction. Ce n’est pas qu’une tradition remplace une autre. Il n’y a ni rivalité, ni dominance, ni contestation. Au-delà des mots et des rites, des dogmes et des pratiques, la théologie comparative ressent qu’il existe une seule humanité partagée, une même divinité qui est la source de tout et qui pour les chrétiens est évidente et accessible dans l’unique Christ, incarné, mort et ressuscité.

La théologie comparative n’essaie pas d’établir une théologie commune. Les doctrines hindoues et chrétiennes sont irréductibles, mais leur rencontre fait que l’esprit se lève au-dessus du mental, et que l’esprit plonge dans le tréfonds, car la compréhension n’est plus possible. Toutefois il y a un vrai savoir qui se trouve dans le noir étincelant, dans l’éclaircissement ténébreux.

Il se peut que le vocabulaire typiquement chrétien semble pour certains fade et usé, et qu’il devienne même un obstacle. Il s’agit dans ce livre d’enrichir le vocabulaire chrétien et de trouver des expressions capables de faire découvrir aux chrétiens leur christianisme. Elles leur laisseraient comprendre ce qui se passe en eux. Cela est d’accord avec les paroles de Jésus:

« J’ai encore bien des choses à vous dire mais vous ne pouvez les porter maintenant; lorsque viendra l’Esprit de vérité, il vous fera accéder à la vérité tout entière.» (Jn16 :12)

Cela ne signifie pas que le christianisme soit révolu, mais que la vérité pérenne du Christ se renouvelle. Il faut découvrir en soi-même le christianisme.

Ce travail de théologie comparative exige docilité et détachement, pauvreté d’esprit et courage pour pouvoir entrer dans un monde nouveau et quelque peu étrange.

Quels textes bibliques ?

Le choix des versets bibliques n’est pas arbitraire. Ils sont suggérés à la lumière des chakras. Ils ne sont ni équivalents ni étrangers aux textes sanskrits ; ils résonnent. Il ne s’agit pas d’imposer aux textes bibliques une sens qui n’est pas le leur – l’eiségèse ; mais de découvrir ce qui s’y trouve – l’exégèse.

Le nombre de textes pourraient se multiplier, mais ce livre ne peut en citer que quelques-uns. D’aucuns sont cités dans la section de chaque chakra explicitement dédié aux textes bibliques; d’autres sont cités au fur à mesure que la discussion continue.

L’effort personnel et la grâce divine

Ayant lu les textes sanskrits et bibliques le méditant se met à contempler le chakra ; il y apporte la puissance du souffle ; il l’éveille par le mantra. Le méditant agit ; il n’est pas passif. Toutefois, les traditions hindoues et chrétiennes insistent sur le rôle de la grâce. Dans l’hindouisme la grâce du gourou est nécessaire si le méditant va profiter des exercices qu’il accomplit. Chez certaines personnes plus douées, il est vrai, cette grâce est accordée directement par la déesse, mais dans les deux cas la grâce reste nécessaire. De même dans le christianisme, la grâce divine est indispensable. La question se pose donc, dans la méditation sur les chakras, quel est le rôle de la grâce et quelle est la valeur de la pratique. La question n’est pas nouvelle.

Le pélagien propose que les vertus, l’éveil spirituel, la connaissance des mystères, et même le salut, sont le résultat de son propre travail. Le Christ est un modèle ; il n’est pas sauveur. Il montre le chemin mais il n’est pas le chemin. C’est l’individu qui accomplit le travail.

Ce livre diffère. L‘attirance des cakras n’est pas en premier lieu le travail du pratiquant. Ce n’est pas tellement lui qui veut ; il y a plus profond en lui qui veut.  Et l’effort ? La capacité de s’engager est lui-même un don. Le pratiquant n’agit pas par raisonnement et volontarisme seuls. Le débutant, bien sûr, doit se mettre au travail, mais le travail marchera bien seulement si c’est l’attirance qui le conduit.   Cela se voit chez le pianiste, par exemple. S’il joue la pièce sans y être attiré, si c’est lui qui joue la pièce et non pas la musique qui le fait jouer, l’effet sera mécanique, ‘froid’ et sans cœur. Selon la tradition chrétienne c’est l’Esprit de Dieu qui inspire et rend le pratiquant capable d’éveiller les chakras. Le pratiquant se laisse aller ; il est disponible à l’impulsion de la grâce.

Toutefois, cela n’a rien à faire avec le quiétisme. Selon la longue tradition chrétienne, la volonté humaine est investie de la volonté divine ; elle n’est pas abolie. Les volontés divine et humaine s’unissent et se coordonnent.  L’énergie divine s’installe chez lui et développe en lui ces énergies, ces éveils, ces sensations, qu’il reçoit et dont il se réjouit.   Le méditant agit parce qu’il est inspiré, mais il agit vraiment et authentiquement, car le choix divin établit et perfectionne le choix humain.  Les agissements divins et humains coïncident.

La méditation sur les chakras n’est pas cet hédonisme où le libertin est dévoré par ce qu’il dévore.  Le méditant goute tranquillement et consciemment, mais sans convoitise. Il n’explore pas les chakras pour assouvir ses appétences. Les plaisirs de chaque chakra sont reçus en toute liberté et le pratiquant se laisse prendre sans cesser de rester affranchi. Il apprécie joyeusement l’ouverture des chakras et la montée au ciel.

Il y a donc plusieurs écueils que ce livre cherche à éviter. Le gnosticisme proclame que la rédemption est acquise par l’intelligence seule. Le pélagianisme dit qu’elle est le résultat de la volonté humaine seule. Le quiétisme n’accorde aucun rôle à l’agissement humain. L’hédonisme se satisfait de plaisirs passagers.  Ce livre propose au contraire que c’est l’inspiration de l’Esprit du Christ qui éveille le pratiquant et lui donne la force de poursuivre le chemin.  L’Esprit rend l’effort efficace.

Le pratiquant suit ses propres désirs, et il en est bien conscient. On verra par la suite que tout en agissant ainsi il se rend compte qu’il y a une autre liberté qui agit en lui, non pas pour contraindre son autonomie mais pour l’affermir. C’est en effet la liberté divine qui n’obstrue pas, qui fait place et invite de telle façon que c’est vraiment le méditant qui accomplit l’œuvre.

Les chakras

Le mot sanskrit ‘chakra’ a plusieurs sens : roue, disque, rayonnement, tourbillon, vortex, domaine, centre d’énergies, groupement. Tous ces sens s’impliquent et ajoutent à la richesse de ce terme :  il s’agit de faire tourner cette roue, qui alors devient vraiment ce qu’elle est, car la roue est faite pour tourner. La roue en tournant brise les liens qui l’entravent, car elle coupe, comme le disque de Vishnou, arme de guerre. Mais la roue peut tourner précisément à cause du moyeu.  Les barres qui s’étalent sont comme un rayonnement ou un tourbillon qui part du vide et qui s’y perd de nouveau comme un vortex.

Il y a la fois vide et rayonnement, espace et plénitude. Pour cette raison, le méditant ne pourra animer le chakra que s’il s’ouvre, c’est-à-dire s’il est sans orgueil et sans préjugé, sans attachement et sans aversions. C’est alors que l’énergie se manifeste et commence à parcourir son chemin jusqu’au sommet. A chaque moment donc, et dans tous les chakras, il y a vide et épanouissement.

Il est utile de montrer dans une table comment les six chakras s’échelonnent :

 

Le chakra L’expérience chez le méditant
1. le périnée (mūlādhāra) De la source profonde et obscure,
2. le sexe (svādhiṣṭhāna) jaillissent spontanément toutes les possibilités dont il prend conscience. En même temps il se rend compte de son propre soi.
3. le nombril (maṇipūra) Parmi toutes ces possibilités il se rend compte qu’il y a une qui l’attire d’une façon plus intense. Il ressent élan, émotion, désir. Il est ‘pris aux tripes’ et il ressent le courage de se résoudre.
4. le cœur (anāhata) C’est alors qu’il fait son choix et s’engage ‘de tout son cœur’. Il se décide.
5. la gorge (viśuddha) Il se déclare clairement et franchement.
6. le front (ājñā) Il reconnait ses droits et prend ses responsabilités. Il agit ; il sait commander.
7. le sommet de la tête    (sahasrāra) Et finalement il y a l’épanouissement complet, la conscience universelle, et l’union du ‘ciel’ et de la ‘terre’.

 

Un jeune homme, par exemple, se plait à voir les jolies filles, mais il y en a une qui l’attire d’une façon exceptionnelle ; il s’y engage de tout son cœur et déclare son amour. Il assume alors toutes ses responsabilités. Il en va de même pour qui s’engage à une vocation religieuse ; parmi toutes les traditions de la vie religieuse il se sent attiré plus intensément par l’une d’entre elles ; il se décide ; il prononce ses vœux et assume les responsabilités qui conviennent. Il en va de même pour un métier etc. ……

Il y a un entrelacement de ces chakras. Par exemple, si un tel n’est pas attiré (chakra 3) par la responsabilité qui lui advient, il n’exercera pas sa fonction (chakra 6) en sagesse et joie. Si la déclaration (chakra 5) ne provient pas d’une attirance, elle sera ‘froide’. L’attirance qui n’aboutit pas à l’engagement (chakra 4) se dissipe ; elle n’est qu’une velléité. Si les possibilités (chakra 2) ne surgissent pas d’une source profonde et mystérieuse, (chakra 1) elles seront aléatoires et vaporeuses.

Il vaudrait bien souligner un peu ici le rapport entre le troisième et le quatrième chakra. Il s’agit dans le troisième de voir dans quel sens on est remué de compassion ou épris d’amour, fasciné et envouté, par exemple. Le choix qui est lié au quatrième chakra est étroitement attaché au troisième : on ne s’engage non pas par décision rationnelle mais parce qu’on est ‘pris aux tripes’. L’assimilation de la nourriture et la digestion dans le ventre apportent l’énergie nécessaire au cœur.

Le mouvement le long des chakras peut être très rapide. Par exemple, très vite, dans quelques phrases l’évangéliste décrit comment Jésus traverse les chakras 1, 2, 3, 4, et 5, « En débarquant (1), Jésus vit une grande foule (2). Il fut pris de pitié pour eux (3) parce qu’ils étaient comme des brebis qui n’ont pas de berger, et il se mit (4) à leur enseigner (5) beaucoup de choses » (Mc 6 :34). Le mot grecque pour ‘pris de pitié’ – ἐσπλαγχνίσθη – signifie ‘touché au ventre’ ou plus précisément ‘touché aux intestins’ qui sont censés constituer le centre des émotions d’amour et de pitié. On retrouve cette expression souvent dans la Bible. On pourrait ajouter aussi le chakra 6, carlorsqu’il enseigne c’est avec autorité. « Car il les enseignait en homme qui a autorité » (Mt 7 :29).

N’importe quel chakra peut être le point de départ. Certains textes recommandent qu’on commence par le chakra entre les sourcils, ājñā. D’autres disent que c’est du cœur, ce chakra au beau milieu entre le mūlādhāraet le sahasrāra, qu’il faut commencer, ou du ventre d’où partent 72,000 veines.  Il se peut aussi qu’un des chakras soit plus important pour un particulier, soit parce que ce chakra a plus de besoin d’attention, ou qu’il apporte de meilleurs fruits.

Toutefois il faut, finalement, que tous les chakras entrent en jeu. Les chakras sont comme la gamme de l’échelle musicale. Tous les chakras doivent résonner, mais différemment. Chaque personne chantera son propre chant et jouera sa propre musique.

Dans la tradition hindoue, et surtout dans le système des chakras, le corps est un microcosme en rapport avec le macrocosme. Tous les univers, ceux qu’on connaît et ceux qui dépassent la connaissance humaine, tous les mondes célestes et terrestres se trouvent dans le corps humain. C’est pourquoi le Ṣaṭcakranirūpaṇainclut tant d’éléments dans sa description. Les limites de ce livre nous empêchent d’interpréter tous ces éléments du point de vue chrétien et nous sommes forcés à en choisir quelques-uns. Néanmoins ils suffisent pour l’élaboration d’une interprétation chrétienne des chakras.

Le corps

Les sources sanskrites le disent bien :« Tous les dieux résident dans l’homme, comme les vaches dans une étable. »[22]« Dans ce corps se trouve le Mont Meru, ainsi que les sept continents, les rivières, les océans, les montagnes, les domaines et les gardiens des domaines. »[23]

Ces citations n’invitent pas pour autant à la paresse et à ne pas prendre soin du corps. Le pratiquant mangera une nourriture saine et variée. Il ne se privera pas du sommeil nécessaire. Il lui faudra peut-être s’entrainer physiquement. Le yoga peut être utile car le but des exercices du Haṭha Yogaest d’éliminer les distractions qui surgissent pendant les longues heures de méditation assise. Le tonus du corps contribue au ‘tonus’ de l’esprit, car « la vérité doit être réalisée dans et par le corps. »[24]

Il est bien de s’assoir par terre, non seulement parce que la terre est le plus stable des supports, mais aussi parce qu’il y a un lien intime entre le sol et le corps humain. Nous sommes terre, nous sommes la poussière des étoiles. Notre corps est en rapport avec tous les éléments de l’univers qui s’enchevêtrent en nous. Toutefois, s’il n’est pas possible de s’assoir sur le sol avec les jambes en ‘lotus’ ou en ‘tailleur’, le méditant peut utiliser une chaise mais de façon à pouvoir planter les pieds carrément sur le sol.

Pour les plus adeptes il est possible de méditer n’importe où, même dans la rue, à la façon des yogis en Inde qui développent ainsi leur capacité de concentration. Jésus se retire dans les collines pour prier seul ; il prie aussi lorsqu’il est entouré de ses disciples (Lc 11 :1) et même de la foule (Jn 12 :28). Pour la plupart des gens, pourtant, il est nécessaire de choisir un lieu plus propice, même un lieu consacré à la méditation : « … assieds-toi … dans ta cellule et celle-ci t’apprendra toutes choses. »[25]

L’imaginaire

La racine sanskrite ASsignifie ‘être’ ; la racine BHŪsignifie ‘faire être’. Le mot bhāvanāqui provient de BHŪsignifie en premier lieu ‘faire devenir’ ‘causer’, ‘produire’, ‘manifester’. Il signifie aussi ‘former dans l’esprit’, et ‘imaginer’ et ‘contemplation’.

L’importance de ces remarques consiste en le fait que le méditant qui se sert de l’imagination n’entre pas dans un monde illusoire. Au contraire, il crée le monde par la puissance de son esprit.  Dans les premiers versets de la GenèseDieu ‘imagine’ la lumière, pour ainsi dire, et donne ensuite la commande ‘que la lumière soit’. Le méditant se sert d’un pouvoir semblable et se met à imaginer, de sorte que ce qui est imaginé devient réel.  Il façonne de nouveau la réalité qu’il est et celle qui se trouve devant lui. L’imagination est créatrice.

Souffle, kuṇḍalinī et l’Esprit 

Le mot sanskrit prāṇasignifie ‘souffle qui donne la vie’, ‘vitalité’ et ‘haleine’. Le méditant en se servant du souffle fait plus que respirer. Il anime le chakra endormi ; il le fait vivre.

Les catégories de chakra et de kuṇḍalinī sont souvent faussement associées avec le Nouvel Age seul alors qu’elles appartiennent à la souche ancienne et culturelle de l’Inde.[26]

Le serpent dans le symbolisme indien n’a pas le sens péjoratif et sinistre qu’on trouve dans la Genèse.  Dans le Veda,le serpent est ce qui entoure et englobe l’univers.[27]Pour le Mahābhārata,la grande épopée hindoue, le serpent constitue le fondement de la terre et de tout ce qui s’y trouve. [28]Le Yājur Veda5 : 33 s’adresse au serpent de la façon suivante : « Tu es un océan qui embrasse tout, tu es le non-né au pied unique, tu es le serpent des profondeurs océaniques. » Le terme ‘pied unique’ signifie que le serpent n’est plus lové, et n’est donc plus capable de s’élancer et de mordre. S’étant complètent dressé, et donc comme sur ‘un pied unique’, le serpent est censé donner la vie. Son poison devient élixir ;[29]ce qui était mortifère devient vivifiant. Le pratiquant cherche à éveiller ce serpent pour qu’il soit source de vie.

La montée de l’énergie est symbolisée par le serpent et nommée kuṇḍalinī. Le mot kuṇḍalinīprovient du mot kuṇḍaqui signifie ‘trou’, tel le foyer sacrificiel. Le mot kuṇḍalī signifie ‘anneau’, ‘cercle’, ou ‘boucle d’oreille’. Kuṇḍalinīsignifie ‘serpent lové’. Ces différents sens se réfèrent, car c’est du vide que l’énergie tournoyante s’élève.

La Genèserapporte que Dieu insuffla son haleine dans le mannequin d’argile pour qu’il devienne un être vivant. Jésus, le jour de Pâques (Jn 20 :22), « souffla sur eux et leur dit : « Recevez l’Esprit Saint. » Si Dieu donne la vie terrestre et passagère au mannequin, Jésus le sacrifié donne à ses disciples la plénitude de la vie divine.  Le méditant fait plus que transmettre dans un chakra inerte un souffle qui fait vivre, il peut aussi lui insuffler l’Esprit qui vient d’outre la vie et la mort, fruit de l’œuvre rédempteur de Jésus.

La kuṇḍalinī, est-elle identique à l’Esprit Saint ? Carl Jung, dans ses conférences sur le Ṣaṭcakranirūpaṇaidentifie « la grâce du ciel » et kuṇḍalinī.[30]Par contre, Philippe Saint-Romain, qui s’est rendu compte que la kuṇḍalinī et les chakras lui donnait les catégories pour comprendre ses propres expérience[31], dit explicitement que la kuṇḍalinī et l’Esprit Saint sont deux réalités différentes.[32]Henri Le Saux (1910-1973) qui suivait maintes pratiques hindoues accepte qu’il y a un lien entre cette énergie et l’Esprit Saint, mais il ne les identifie pas.[33]Cette attestation est d’autant plus importante du fait qu’il a profondément expérimenté la puissance de l’Esprit. Son disciple Marc Chaduc (1944 – ?) raconte dans son journal :

« Il se passait quelquefois que Swaminji découvrait les abîmes de plus en plus profonds de son âme. … L’irruption du (Saint) Esprit l’arrachait de lui-même et a brillé de chaque partie de son corps, une apocalypse intérieure qui de temps en temps rayonnait en dehors dans une transfiguration glorieuse. (décembre 1974). »[34]

Selon la tradition chrétienne l’Esprit plane sur les eaux (Gn 1 :2) dès le début, avant même que Dieu ne dise « que la lumière soit ». L’Esprit est la source de la vie sous toutes ses formes (Ps 104 :30). Toutefois l’Esprit se déferle de la façon la plus complète dans le paradoxe de la vie et de la mort, c’est-à-dire dans le mystère pascal. Si la kuṇḍalinī est comprise comme une manifestation de l’Esprit dans le corps vivant, la kuṇḍalinī devient active en toute plénitude chez ceux qui sont morts et ressuscités avec le Christ (cf. Rm 8 :11).

Le mantra

Dans la tradition hindoue le praṇava, prononcé OṀ ou AUṀ, constitue la parole primordiale qui est à l’origine de tous les sons, et du fait que chaque son dans le contexte rituel est cosmogonique, réciter un son signifie établir et régir sur le monde qui lui appartient. Padoux le dit bien :

« L’Inde semble être, de tous les pays du monde, un de ceux – ou même, celui – où l’on a le plus anciennement et le plus continûment spéculé sur la parole ; élaboré – et donc vécu – des mythes où la Parole primordiale, le Verbe, joue un rôle essentiel ; spéculé sur la puissance cosmogonique ou magique de certaines formes de la Parole ; réfléchi sur la valeur et la nature du langage et élaboré à haute époque une phonétique et une grammaire. »[35]

Le Gorakṣaśatakadénombre les pétales pour chacun des six chakras mais sans indiquer les phonèmes. Ce n’est pas sans raison que, éventuellement, les cinquante phonèmes de l’alphabète sanskrit soient explicitement placés sur les pétales et au centre, car les phonèmes en constituent l’essence et indiquent le royaume.

A la différence de l’alphabète occidental où les lettres se suivent pèle mêle, l’alphabète sanskrit est soigneusement arrangé.

Voyelles (16):             A, Ā, I, Ī, U, Ū, Ṛ, Ṝ, Ḷ, Ḹ, E, AI, O, AU, Ṃ, Ḥ

Consonnes (5×5):        K, Kh, G, Gh, Ṅ

C, Ch, J, Jh, Ñ

Ṭ, Ṭh, Ḍ, Ḍh, Ṇ

T, Th, D, Dh, N

P, Ph, B, Bh, M

Semi-voyelles (4) :     Y, R, L, V

Sibilants (4):               Ś, Ṣ, S, H

Ajout (1) :                   KṢ

Les voyelles, consonnes, semi-voyelles et sibilants commencent tous du fond de la gorge. Du fait que le son et le monde sont identiques – le monde est constitué de sons, le son est cosmogonique – l’émanation du son du fond de la gorge signifie la manifestation du réel. Les voici arrangés selon les chakras.

Les chakras Au centre Sur les pétales Les nombres
le sommet de la tête (sahasrāra)     1000 pétales
6. le front (ājñā) OṀ H, KṢ 2
5. la gorge (viśuddha) HAṂ A, Ā, I, Ī, U, Ū, Ṛ, Ṝ, Ḷ, Ḹ, E, AI, O, AU, Ṃ, Ḥ, 16 (= 2 x 8)
4. le cœur (anāhata) YAṂ K, Kh, G, Gh, Ṅ, C, Ch, J, Jh, Ñ, Ṭ, Ṭh, 12 (= 2 x 6)
3. le nombril (maṇipūra) RAṂ Ḍ, Ḍh, Ṇ, T, Th, D, Dh, N, P, Ph, 8 (= 2 x 4)
2. le sexe (svādhiṣṭhāna) VAṂ B, Bh, M, Y, R, L, 6 (= 1 x 6)
1. le périnée (mūlādhāra) LAṂ V, Ś, Ṣ, S, 4 (= 1 x 4)

Ce symbolisme indique le retour du dernier phonème, S, jusqu’au premier phonème, A, de qui tout émane.

Les sommes se dédoublent alternativement, 4 (=1×4), 6 (=1×6), 8 (=2×4), 12 (=2×6), 16 (=2×8), pour montrer à la fois l’harmonie et le déploiement de la kuṇḍalinī ascendante.

La montée de la kuṇḍalinīau long du canal central constitue un retour à la source. Cela ne suppose pas un optimisme irréfléchi et présomptueux. Les textes hindous cautionnent : il est possible de reverser le mouvement. Le parcours et la fermeture progressive contraire des centres produisent un effet dénommé « possession démoniaque ».[36]

Les mantras innombrables de la Bible – soit une exclamation, un mot, ou même une phrase entière– sont tous divinement révélés. Ils sontune expression du Verbe par qui tout fut créé et qui est devenu chair (Jn 1 :3, 14). Jésus s’identifie avec les paroles qu’il prononce car elles ne sont pas autres que lui. Plus encore que ses paroles, le corps même de Jésus est le mantra suprême prononcé en cette terre. En projetant le mantra dans le chakra, le méditant chrétien lui communique toute la richesse du Verbe incarné.

Bénédictions

Munis de l’apport des textes sanskrits et bibliques, le pratiquant se recueille sur la région de chaque chakra. Il l’attise avec le souffle, le mantra et l’imagination, selon son gré. Il s’éveille et il s’émerveille de ce qui jusque-là étaient totalement inconnu. Cette surprise pourrait lui rappeler le texte de S. Paul : « … ce que l’œil n’a pas vu, ce que l’oreille n’a pas entendu, et ce qui n’est pas monté au cœur de l’homme, tout ce que Dieu a préparé pour ceux qui l’aiment. » (1Co2.9)

Ce qui s’éveille pendant la méditation se propage, de sorte que les bénédictions se multiplient : la bénédiction du prochain et la bénédiction de Dieu. Le pratiquant ne se ferme pas sur lui-même ; il s’ouvre au prochain et au Dieu infini.

A la suite de la pratique, le méditant devient un être vraiment vivant, car tous les chakras entrent en fonction, non seulement à cause de ce que donne la vie humane mais aussi parce qu’ils sont animés par ce qui vient de l’union paradoxale de la vie et de la mort de Jésus. Il se découvre et s’émerveille devant cette splendeur.  Comme le psalmiste, il pourrait s’exclamer : « Qu’est donc l’homme pour que tu penses à lui, l’être humain pour que tu t’en soucies ? Tu en as presque fait un dieu : tu le couronnes de gloire et d’éclat ; (Ps 8 :5-6).

Cette découverte n’est pas seulement de son propre soi mais aussi des autres qui sont ensuite appréciés d’une nouvelle façon. De plus, l’éveil qui a lieu chez l’un se propage aux autres, consciemment ou inconsciemment. On verra plus précisément par la suite ce qui se passe au niveau de chaque chakra. Eux aussi sentent leurs chakras commencer à vibrer à la vue de celui qui est vivant. Selon le texte évangélique le méditant est une lampe qui « brille pour tous ceux qui sont dans la maison » (Mt 5 :15).

Si au début des méditations Dieu n’est peut-être ni n’admis ni reconnu, l’éveil progressif des cakras fait voir ce que méditant n’a jamais apprécié. Et en se découvrant il découvre aussi Celui qui dépasse tout.  La vie divine commence à poindre.  Celui qui est visible dans tout le crée, comme dit S. Paul (Rm 1 :20), est le plus visible dans l’homme. Les découvertes et l’émerveillement au sujet de soi-même, des autres et de Dieu ne cessent jamais.

Dans la tradition hindoue également, comme on verra plus tard, le dieu et la déesse se trouvent déjà dans le premier chakra, mais ils ne seront pleinement connus que lorsque le sommet, le sahasrāra, est atteint.

Le méditant ressent enfin que le matériel devient spirituel et que le spirituel se matérialise. La transcendance et l’immanence convergent. L’humain et le divin s’interpénètrent. Une unité inébranlable s’établit.

 

I          SUR LA SOURCE ET LE FONDEMENT (mulādhāra )

Appuis

a. Le traité Ṣaṭcakranirūpaṇa

Le mot mūla signifie ‘racine’ et donc ‘base’, ‘fondement’, ‘commencement’. Le mot ādhāra signifie ‘réservoir’, ‘bassin’. Le mūlādhāra est donc ‘la source fondamentale’.

Les versets 4-13 du Ṣaṭ-cakra-nirūpaṇa décrivent le mūlādhāra par un foisonnement de symboles dont on ne retient ici qu’une sélection. C’est normal, car le pratiquant hindou est supposé choisir parmi les techniques innombrables de sa tradition ce qui lui ouvre l’esprit. Il n’est ni possible ni nécessaire de se référer à tous les symboles.

Ce centre se situe au niveau du périnée, au centre, entre l’anus et les bourses chez l’homme. Répétons-le : les chakras ne sont pas des lieux anatomiques précis, mais s’y trouvent associés.

La couleur est jaune car ce chakra est associé à la terre. Selon la plus ancienne philosophie de l’Inde, le Saṁkhyā, qui se retrouve dans les autres systèmes, la pṛthivī, ‘terre’ ou ‘sol’, est le plus éloignée et opposée à la conscience, le puruṣa.  Toute la variété du monde émane de pṛthivī.

La forme visuelle du chakra, le yantra, est le carré, symbolisant ce qui est stable et fiable, et ce qui s’étend aux quatre coins du monde.

Les 50 phonèmes de l’alphabète sanskrit s’étendent de Aà KṢA et représentent l’émanation de l’univers. Le premier phonème, A, est Śiva lui-même, conscience suprême, de qui tout provient. Dans le Ṣaṭ-cakra-nirūpaṇa les 50 phonèmes sont répandus parmi les divers chakras pour arriver á ce qui est le plus inerte, c’est-à-dire à l’élément le plus éloigné de la conscience qui est le sol. Les quatre pétales de ce chakra, qu’on nomme ‘lotus’ également,  portent quatre des derniers phonèmes de l’alphabète, VA, SA, ṢA, SA. Le mantra – la semence (bīja) – placé dans le carré du mūlādhāra est la semi-voyelle LAṀ. En prononçant la semence on manifeste et fonde le chakra, car tous les objets de ce monde sont l’expression du son.

Une telle conception peut être déroutante pour des occidentaux : ce n’est pas un son, ou un mot qui exprime ce qu’est l’objet, mais l’inverse, c’est le son, le mantra qui est fondamental, qui est premier, et l’objet n’en est que l’expression. La distinction essentielle est posée ici entre ce qui est inexprimé et ce qui est exprimé: la prononciation du chakra manifeste ce qui n’était que possible jusque-là. Ainsi à chacun des chakras correspond un mantra, un son différent, qui est le fondement de ce chakra et qui le crée.

Dans le triangle situé dans ce même carré on trouve le serpent enroulé sur le liṅgam.  Le serpent se retrouve souvent dans le monde symbolique hindou. Par exemple, les Vedasparle du serpent Ahirbudhnya qui encercle l’univers qu’il renferme en lui-même.[37] Le Mahābhārata [38]raconte que Brahmā demanda au serpent Śesa, qui s’était adonné sans limites à la pratique spirituelle, de devenir le fondement même de la terre, y compris les montagnes et les torrents, les forêts et les villes. Selon le Yājur Veda.V. 33 [39] le célébrant est censé s’assoir sur le serpent qu’on adresse de la façon suivante:

“Tu es un océan qui embrasse tout, tu es le non né au pied unique, tu es le serpent des profondeurs océaniques.”[40]

Le terme viṣasignifie normalement ‘poison’. Le serpent, qu’on nomme la kuṇḍalinī,s’éveille, se dresse sur un pied, pour ainsi dire, et pour cette raison ne sait plus mordre. Le mot viṣasignifie alors l’entrée (āveśa) dans la sphère transcendante qui donne le nectar de l’immortalité.[41]  La source de la mort devient source de vie.

Le mot kuṇḍalinī provient du mot kuṇḍa qui signifie ‘foyer’ et aussi le sexe féminin; kuṇḍalī signifie ‘anneau’; la kuṇḍalinī est cette énergie, le serpent lové. Il s’agit d’éveiller cette énergie, ce serpent endormi, pour que le pratiquant devienne parfaitement éveillé.

Le liṅgam, image pris du sexe masculin, représente le dieu Śiva.

Le liṅgam et la kuṇḍalinī, le dieu et la déesse,  le masculin et le féminin, se trouvent à l’entrée de la suṣumnā, ce canal qui s’étend comme la tige d’un lotus tout au long du corps jusqu’au sahasrāra qui se trouve au sommet de la tête.   Plus précisément la kuṇḍalinī et le liṅgam se trouvent dans un triangle dont la pointe est tournée vers le bas, ce qui signifie que l’énergie est dirigée vers tout ce qui est limité et passager. Il s’agit de renverser le triangle et de le diriger vers la suṣumnā. Ce renversement est la voie du renoncement, de la maîtrise des énergies, de la réorientation vers la transcendance.

Dès le début l’homme est orienté vers l’infini. Le serpent le liṅgam qu’il embrasse, représententŚiva et Śakti endormis et inactifs. Lorsque le serpent aura parcouru son chemin, Śiva et Śakti se manifestent en toute évidence. Le serpent et le liṅgam font contrepartie à Śiva et Śakti: sans réalisation au début et à la fin complètement éveillés.

b. Le langage

Le langage ordinaire confirme en partie le monde symbolique du Ṣaṭ-cakra-nirūpaṇa. Le mūlādhārase trouve précisément à l’endroit où l’on s’assied qui devient ensuite un symbole. Ainsi le trône est symbole du roi ; le juge se tient sur son banc ; le pape occupe le Saint Siège ; l’évêque s’assied sur le cathedra,et l’église où ce meuble se trouve est dénommée ‘cathédrale’. Ces mots – trône, et banc, siège et cathedra– indiquent l’autorité des personnes qui les occupent. Le mot ‘autorité’ provient du latin ‘auctor’, ‘celui qui fait croitre’, qui crée, qui est l’auteur de telle ou telle chose. Le mūlādhāra est fondement ; il est aussi source.

c. La Bible

Dieu est ‘le rocher’ parce que dans les situations floues de la vie c’est Dieu qui affermit son Peuple.  Il est fidèle malgré leurs infidélités.

En toi, Seigneur, j’ai mon refuge : garde moi d’être humilié pour toujours. Sois le rocher qui m’accueille, toujours accessible ; tu as résolu de me sauver : ma forteresse et mon roc, c’est toi !Ps 70, 1.3

Jésus est lui-même la pierre angulaire qui soutient l’édifice que Dieu bâtit. (Eph 2.20:) Et son enseignement est un rocher, une vérité éternelle sur laquelle l’homme avisé construit sa vie. Tout enseignement contraire n’est que du sable. (Mt 7 :24ff.)

Mais de plus, le rocher est source d’eau. Lorsque les Israelites meurent de soif dans le désert, Moïse à la commande de YHVH frappe le rocher d’où coulent les eaux. La légende, dont on trouve l’écho chez St Paul (I Cor 10:4) relate que ce même rocher a accompagné le Peuple Choisi pendant quarante ans pour leur approvisionner d’une source inépuisable.  St Paul applique cette légende au Christ qui est le rocher, source de l’eau vive qui ne tarit jamais.

Le roi, l’évêque et le juge ont leurs sièges, ici-bas. Jésus est « assis à la droite du Père », Seigneur à jamais. Et c’est de là qu’il envoie l’Esprit. Sa tranquillité est en même temps un agissement inépuisable. Repos et activité coïncident.

Lorsque Jésus pose la question aux disciples et les interrogent sur leur foi, c’est à Césarée Philippes, là précisément où la rivière de Banias, une des sources principales du Jourdain, s’élançait d’un rocher. Lorsque Simon proclame sa foi, Jésus, à son tour annonce que Simon est ‘pierre’, c’est-à-dire non seulement le fondement de son Église mais aussi la source de la vie ecclésiale. La foi de Simon Pierre et donc de chaque chrétien sera fondement et source de vie.

La foi, connaissance et obéissance suprêmes, devance toute validation. Jésus dit explicitement que ce ne sont pas les facultés humaines, « la chair et le sang », mais Dieu même qui a inspiré la foi de Simon Pierre (Mt 16 :17).

L’autre image qu’on peut mentionner dans ce contexte c’est l’arbre dont les racines se nourrissent de l’eau, l’arbre bien implanté et fertile qui donne ses fruits sans jamais manquer, comme les arbres de la Jérusalem Messianique « qui fructifient douze fois, une fois chaque mois ». (Ap 21 :2).

Heureux est l’homme se plaît dans la loi de YHVH, mais murmure sa loi jour et nuit !Il est comme un arbre planté auprès des cours d’eau ; celui-là portera fruit en son temps et jamais son feuillage ne sèche ; tout ce qu’il fait réussit.Ps 1, 2-3

Prendre conscience de la manière dont je suis posé, enraciné dans le sol et de la stabilité que cela me donne, cela convoque facilement l’image de l’arbre.

 

2. Approches

a. par le corps

On s’assied, mais où et comment ? Cela importe. Il faut surtout que la posture soit stable, ni raide ni bâclée. On adopte la posture qu’on peut maintenir pendant longtemps, sans bouger et sans douleur, mais aussi une posture qui a l’air digne.

Ce serait bien de s’assoir par terre, non seulement parce que la terre est le plus stable des supports, mais aussi parce qu’il y a un lien intime entre le sol et le corps humain. Nous sommes terre, nous sommes la poussière des étoiles. Notre corps est en rapport avec tous les éléments de l’univers qui s’enchevêtrent en nous.

Si on n’est pas capable de s’assoir sur le sol avec les jambes en ‘lotus’ ou en ‘tailleur’, on peut s’assoir sur une chaise de sorte qu’on peut poser les pieds sur le sol, donc une chaise qui convient à notre taille.

Le corps se tient bien. Il faudra peut-être pour cela qu’on s’entraine physiquement. Le but des exercices du Haṭha Yoga est pour qu’on ne soit pas distrait par le manque de confort ou par quelque impression qui trouble l’esprit. Il faut que le physique soit bien arrangé. On mangera une nourriture saine et variée. On ne se prive pas du sommeil nécessaire. De cette façon le tonus du corps est maintenu, ce qui aide au ‘tonus’ de l’esprit.

On choisit un lieu qui déjà par lui-même nous invite à la méditation. Pour les plus adeptes il est possible de méditer n’importe où, même au milieu de la circulation routière, comme font les yogis en Inde pour développer leur capacité de se concentrer. Et l’environnement doit être convenable, un lieu qui est consacré autant que possible à cette méditation.

Jésus se retire dans les collines pour prier seul, mais il prie aussi alors qu’il est entouré de ses disciples et même de la foule, car il sait prier n’importe où. Mais on est peut-être incapable de se recueillir n’importe où, à cause de notre faiblesse ; nous avons besoin d’un endroit spécial. L’environnement est important. La Méthode d’Oraison Hésychaste recommande : « … assieds-toi, dit-on, dans ta cellule et celle-ci t’apprendra toutes choses. »[42]La capacité méditer est un don, une vocation. Une voix, venue d’où on ne sait pas, conseilla à Abba Arsénius, « Fuir, se taire, se tenir tranquille, (hésychaze). »

Si je suis assis en posture de méditation, je prends conscience de l’appui du poids de mon corps sur cette zone, avec une différence de sensation au niveau des ischions. Je laisse un peu la sensation de l’appui sur les parties des membres inférieurs en contact avec le sol et me concentre sur cet appui central.

Dans un premier temps, l’appui peut donner l’impression d’une assez forte densité, compacte. Il est possible de faire évoluer cette sensation en contractant, sur l’expir, les muscles qui constituent le périnée ou en sont proches : les muscles qui relèvent l’anus et les muscles qui constituent le plancher pelvien. Dans un premier temps la contraction va être globale, mais peu à peu on pourra distinguer les deux. Celle du releveur de l’anus est plus forte, plus perceptible car elle suscite un mouvement intérieur ; peu à peu on va chercher à ne pas la stimuler, pour se concentrer sur la seule contraction du plancher pelvien, beaucoup plus discret. J’opère cette contraction tranquillement, deux ou trois fois, sur l’expire. Par la suite, je peux constater que la perception du périnée a changé, elle est moins compacte, plus légère, voire habitée d’une certaine vibration.

Un lieu difficile à déterminer mais sur lequel tout repose, où tout trouve sa source : cela peut évoquer le fond de l’âme des mystiques rhénans. Part inaccessible de nous-mêmes et qui constitue cependant le cœur de notre identité et le lieu où Dieu réside.

Lieu peu connu, peu perçu dans la vie courante, facilement marqué de honte et de besoin de dissimuler. Situé entre anus et sexe, il semble totalement étranger à une démarche spirituelle. Pourtant la perception, en mettant plus l’accent sur le fait qu’il est dans l’axe, et le fondement de l’axe principal du corps, en change beaucoup le sens. Quand on prend plus conscience de ce qui constitue le fondement, la fondation, l’ensemble de la personne se tient autrement, trouve sa juste stature, sans s’effondrer, ni bomber le torse.

Le fondement, essentiel et pourtant inaccessible.

Pendant ce travail, il est fréquent que l’ensemble de la posture évolue, se rectifie, avec la sensation que si l’appui est si solide, le reste du corps se dresse, dans une certaine majesté.

On sait que l’excrément sort de nous. On accepte tous les aspects de son être physique. Notre excrément ne dégoute pas, car il est normal. On connait bien les troubles qui s’attachent au manque d’une attitude saine à ce sujet. On accepte cet aspect de la vie mais en même temps on n’y fait pas grande attention car il y du plus important.

On peut méditer en solitude, ou bien méditer avec d’autres personnes, devant une image sainte, une bougie, avec de l’encens etc., ou rien de tout cela selon son gré.

S’il y a plusieurs pour méditer, on peut se mettre en cercle ou en ligne rangée, ou même en chœur comme les moines. Les avantages de tel ou tel arrangement se feront voir.

On peut méditer les yeux fermés, ce qui est le plus souvent le cas ; ou les yeux ouverts qui est possible une fois que l’esprit est bien stable et que la conscience de la vie intérieure n’est pas distraite par ce qu’on voit à l’extérieur.

Tout cela, c’est la disposition extérieure qui permet l’enracinement et l’éveil de ce chakra.

Ce serait utile, si l’on veut, de sentir le poids du corps, et l’accepter, car nous sommes chair. On est tout simplement conscient de son être physique, sans rien de plus. On accepte sa vulnérabilité et sa mortalité. On apprécie le corps, on aime être chair et os, malgré les maux et les maladies. On accepte le fait de son existence passagère. Mais c’est précisément en acceptant la condition terrestre qu’on la dépasse. On évite l’angélisme qui nous rend bêtes.

On aime exister dans le temps, car on s’assied ici et maintenant. On ne cherche pas un autre temps, un autre lieu, un autre siècle. On s’accepte avec toutes ses limites. On s’aime. Oui, on veut être libre de tout ce qui nous retient, de nos faiblesses et de notre vieillissement, mais on aime la chair. On est bien dans sa peau.

On s’assied, on devient tranquille. Il s’agit de savoir comment s’assoir, avec quelle attitude, mentalité, esprit. Tout en premier, il faut être paisible. On abandonne tout, les raisonnements et les projets. On a confiance, car on a la foi en Celui qui transcende toutes les vicissitudes de l’existence humaine. On descend dans le vide, sans support ; on se sent accueilli par le vide qui n’est pas un néant, mains une plénitude, qui contient tout et dépasse tout. On est capable d’entrer dans le vide parce qu’on est attiré. C’est le vertige.

Mais alors, tout commence à changer, car l’attention portée sur nos limites finit par les transformer.

On se recueille, on est attentif, on attend. On est plein de confiance, avec la confiance de la foi. On est calme, sans désir, sans peur, sans regrets, sans ambition. On ne dépend de rien. On n’essaie de rien changer, on est sans métaphore, sans poésie, sans idées préconçues. On est tout simplement attentif à l’acte de s’assoir.

On se laisse descendre, on descend encore plus bas, dans le vide,  au-delà de toutes les pensées, les désirs et tout agissement. On abandonne tout. On est immobile, comme Jésus cloué sur la croix, qui n’ira pas ailleurs dans ce monde comme avant, mais qui remplira l’espace d’un bout à l’autre.

On descend au plus profond de soi-même, là où il n’y a plus de sens, ni de support; on est comme assis sur le vide. Mais on peut se laisser aller parce qu’on sait obscurément que c’est dans un espace insondable et accueillant qu’on se trouve, un vide qui ne présente aucun obstacle. On ne se crispe pas, ni dans les doigts ni dans le corps entier. On sait déjà, par instinct pour ainsi dire, que ce vide est supérieur au soi limité, plus aimant, plus attirant, infiniment personnel. On est sans peur, sans crainte, sachant que c’est bien de se laisser aller comme ça.

On sent déjà la stabilité et la tranquillité. On ne dépend de rien, ni des pensées. On ne désire plus rien. On est libre de tout désir. On va au-delà de toute pensée, dans les abysses de l’être. On se reconnaît comme le fondement du monde, et cela sans convoitise, sans pensée, sans arrogance. On est matière, entièrement physique mais sans impureté, honnêtement et consciemment mais sans idées contraignantes. Son corps devient stable. Il est bien assis.

Pourquoi se rendre ailleurs. Le méditant perçoit que tout se trouve ici. Son corps est un temple sacré, bâti avec de la chair, si bien qu’il se sent solide et inébranlable comme de la pierre.

On a conscience de soi et cette conscience mène à la conscience du Soi,  de Celui qui n’est pas moins personnel que le soi individuel mais plus personnel.  Et cela à cause de l’Esprit qui, de par sa propre volonté, nous ouvre l’esprit.

Cela se passe tout naturellement, on pourrait dire tout divinement. On n’essaie pas d’en retenir les effets. On reste libre. Ils arrivent, ils partent ; on les apprécie sans s’y attacher. Ils sont libres, tout comme l’Esprit dont sa mouvance est libre. C’est en pleine liberté qu’on agit. Ce n’est que dans la liberté que l’Esprit peut agir librement. Toute contrainte provient d’un désir de dominer, et rend l’Esprit incapable de nous toucher, ce qui est un péché.  On est tranquille, libre même des effets de la liberté.

b. par l’imaginaire

On peut, si cela nous aide, visualiser les couleurs, les formes et les scènes qui influencent notre point de vue. Voici quelques suggestions.

On s’imagine tel un rocher, qui reste au même endroit pendant les millénaires, sans bouger, content, si on peut dire, d’être rocher. On peut imaginer le vent et la pluie, le soleil et la neige se fondre sur le rocher ; il reste immobile. Il est stable.

Cela ne signifie pas monotonie, ennui et manque d’énergie. Au contraire, c’est du ‘rocher’ que ‘l’eau’ jaillit, comme on a vu. Quel contraste entre le rocher immobile et l’eau mobile. Les deux s’impliquent, le rocher et l’eau, l’immobile et le mobile.

Ou bien on s’imagine comme l’arbre bien enraciné qui est secoué par la tempête, frappé par la foudre, mais qui continue, grand et majestueux. Malgré les ravages de la vie, les heurts, les insultes, les succès et les pertes, on persiste, stable, sûr, crédible.  Même si on se sent mal-aimé, si on nous rejette, si on nous trahit, nous restons fidèles, car on est ‘bien assis’, fiable, crédible parce qu’on croit en soi même.

On peut, si on veut, imaginer la couleur de la terre, car ce chakra est centré sur le sol. L’homme est, selon le Livre de la Genèse, une maquette, chair faite de terre. L’ocre des parois de Lascaux constitue la première couleur de la palette humaine.

Ou bien on peut s’imaginer comme le carré, les côtés égaux, les angles identiques, cette forme qui constitue la base des édifices et des chaises, un support stable et clair.

On peut imaginer Jésus endormi dans le bateau, la tête sur un coussin, alors que le vent hurle et le bateau est en danger de sombrer dans les vagues. Les disciples ont peur, mais Jésus est calme parce qu’il est sûr de lui-même. Les disciples se méprennent sur son sommeil. « Maître, tu ne te soucies pas de ce que nous périssons ? » (Mc 4 :38) Il est confiant ; c’est eux qui manquent de confiance, car la foi leur manque. Il est capable de maitriser les éléments ; les disciples ne le sont pas.

Ou bien on peut s’imaginer comme une montagne sacrée, que ce soit le Mt Sinaï, le Mont du Calvaire, le Kailash, la pyramide de Aztèques, le Mont Meru, la colline du Temple de Salomon. Toutes les religions ont une montagne sacrée, demeure de la divinité. ‘Je suis le rocher’; ‘je suis la montagne’ que Dieu se plait à habiter.  On se reconnait comme lieu saint ; matériel et spirituel à la fois.  On commence à deviner sa propre valeur. Je suis, et le Je Suis vient s’installer chez moi.

Cette confiance rend possible cette méditation en toute tranquillité. La foi est un savoir qui vient d’outre monde, d’outre univers. Il est un savoir qui inspire de la force et de l’énergie, qui durent quand tout tombe en ruine. Les connaissances qui dépendent des facultés et de la raison sont valables mais limitées ; la connaissance qui vient du fond de l’être, là où l’Esprit demeure (cf. I Cor 2 :10-11), est une connaissance que rien ne peut ébranler.  C’est une connaissance dont les mots ne sont que le faible écho.

c. par le souffle

On peut, si on veut, insuffler l’haleine. On le fait soit en même temps, ou bien avant ou après la contraction. Cette haleine qui est plus qu’un mélange d’azote, oxygène et dioxyde de carbone ; l’haleine pet être ressentie comme une énergie. Elleest signe de la vie qui nous accompagne de la naissance jusqu’à la mort. Ellesignifie non seulement la vie humaine mais en quelque sorte la vie divine, car selon la Genèse 2 :7 le Dieu créateur transfère dans les narines de la maquette d’argile le ruahdivin, et l’homme se dresse en être vivant.

L’homme se met debout ; de même, la vie s’éveille dans le mūlādhāraet commence à se faire sentir.  Le souffle humain, symbole et lieu de vie, est puissant et énergique. Au fur et à mesure que le souffle acquiert toutes les qualités de la vie, il devient puissant et vivifiant. Tout comme le vent qui passe sur le lac tranquille y suscite les vagues, de même le souffle confère son énergie au chakra endormi et stagnant.

La qualité du souffle est de première importance, car le souffle engage. Le souffle saccadé fait voir une personnalité qui n’est pas à l’aise. Chez le débutant le souffle est rapide, parce qu’incertain, mais par la pratique le souffle devient plus long et plus profond utilisant les poumons entiers et non pas seulement la partie haute. Le souffle qui convient n’est pas violent, insistant ou rapide, mais tranquille, sûr et apaisé. L’haleine se rend de plus en plus restreinte, au fur et à mesure qu’on se repose dans l’Esprit de Dieu, car le souffleest le symbole naturel de l’Esprit qui est ressenti quelques fois comme une haleine. Le souffle lui-même est inspiré.

Le Dieu créateur insuffle la vie au premier homme. Le Christ, rédempteur victorieux, insuffle l’Esprit Saint aux disciples et leur donne le pouvoir ultime de pardonner ou de retenir les péchés. Le souffle de Jésus ressuscité est à la fois humain et divin, l’un impliquant autre, unis et en contrepartie. Le pratiquant, stable et confiant comme Jésus, transmet le souffle humain divinisé au centre radical, et par la suite aux autres chakras.

Au fur à et mesure que le pratiquent est inspiré par l’Esprit, son souffle humain acquiert la puissance de l’Esprit Saint, qui fut présent au début, même avant que Dieu ne dise «Que la lumière soit»! Cette haleine soulage, purifie, anime, assouplit et démarre ce centre qui l’attend. Les énergies commencent à s’éveiller.

Le jour de la Pentecôte, les disciples sont réunis paisiblement en un seul lieu, comme s’ils méditaient. C’est alors que l’Esprit arrive soudainement « comme le souffle d’un violent coup de vent » (Ac 2 :1) et les anime de telle façon qu’on les juge insensés et ivres. Ils se mettent à proclamer les merveilles de Dieu, une proclamation qui ne cesse de se répandre à travers le monde. Leurs mots détiennent une capacité de transformer. Ils n’ont plus peur. Ils sont envahis par une force qui les métamorphose.

Il y a donc le jeu de la chair et du souffle. C’est une transfiguration. Ce qui était languissant, engourdi, inconnu, méconnu, et inanimé, commence à s’épanouir. Ce qui était paralysé, immobile, desséché, redevient souple et actif. Les capacités sont éveillées. Tout cela est expérimenté spontanément, sans aucun effort.

Le chakra, le lotus, commence à devenir ce qu’il est vraiment, à achever son destin.  La roue du chakra se met à tourner. La sève commence à monter dans la tige du lotus. Tout ce qui le bloquait disparait sous l’effet de l’haleine ; la poussière est déblayée par le souffle, et le miroir redécouvre sa clarté. On ressent un grand soulagement qui se répand dans tout le corps.

d. par le mantra

On récite le mantra qui n’est pas tout simplement un moyen de se débarrasser des pensées qui troublent l’esprit. Ce serait méconnaitre la valeur et le sens du mantra tant dans l‘hindouisme que dans le christianisme.

Si les moines du désert ne cessaient pas de réciter leur ‘mot’ ou simple phrase, c‘était parce que ce vocable produisait son effet. Cassien au chapitre 10 de ses Conférencesrecommande aux moines d’utiliser à chaque instant la prière. « Dieu, viens à mon aide. Seigneur, à notre secours. » Le mantra n’est pas seulement un son : il est un mot.

Quel sera le mantra de la tradition chrétienne qu’on pourrait utiliser? Comment le recevoir du fait qu’on a généralement perdu la tradition des pères spirituels tels qu’on les trouvait chez les moines du désert. Peut-être désire-t-on trouver son mantra par une inspiration venue du ciel.

Dans l’hindouisme, le mantra est une parole puissante, bien capable de produire des effets.  De fait le mantra est la forme phonique de la divinité. En le récitant on s’identifie à la divinité et on accède à tous les pouvoirs de la divinité. C’est pour cela que le mantra ne doit pas être écrit ni lu. Il perdrait alors tout son pouvoir. Le mantra est transmis par le maitre au disciple lors de l’initiation et constitue le cœur même de l’acte d’initiation. Le mantra est un secret entre le maitre et le disciple. Le maitre qui s‘est lui-même identifié au mantra le confère maintenant au disciple dont il apprécie la ferveur spirituelle et la capacité.

Jésus lui-même proclame « Les paroles que je vous ai dites sont esprit et vie.» (Jn 6 :63) Toutes les paroles de l’Écriture Sainte sont les manifestions du Verbe primordial, et donc de Jésus le Verbe qui s’est fait chair.

Inspiré par l’Esprit on choisit la phrase de la tradition qui touche au cœur. Regardons de plus près ce que cela signifie. Si le mot ou la phrase touche au cœur et nous fait trembler de joie, c’est comme si l’Esprit nous tapait à l’épaule et nus disait, « Voilà le don que je te fait aujourd’hui. Le mot que je te donne c’est un signe du choix que je fais de toi. Il te mènera très loin. Il te révélera des choses inouïes. Il est un outil. Sers-t’en.»

On pourrait dire, par exemple, ‘soit’ ou ‘paix’, ou ‘oui’, ou ‘voici la porte du ciel’. On le prononce, on le communique au périnée, on transforme le périnée par le mantra. Les mots du mantra guérissent, tranquillisent, encouragent, affirment, établissent. Les mots et le bassin du corps s’identifient.

Il est bon quand même, surtout pour les débutants, de trouver un maitre et d’être bien instruit, car ceux qui se prennent eux-mêmes pour guides suivent un insensé, comme on dit.

On peut prononcer le mantra de cette façon parce qu’on a l’assurance de la foi. On est confiant, on sait le pouvoir de sanctification que contiennent ces mots. On fait cela sans réfléchir au sens du mantra. C’est un acte de puissance et non pas d’intelligence.  C’est une transfiguration de cet endroit qui adopte maintenant toutes les qualités de ce qui est prononcé dessus. C’est bien ici le pouvoir du mantra.

On ressent, en prononçant le mantra de cette façon, la consécration de la base même du corps, la base même de l’être humain. En ce faisant, le disciple se rend terrestre parce que le mūlādhāras’est identifié au sol. . En prononçant le mantra chrétien, on transforme le périnée non pas seulement en ce que le mot signifie, mais en Jésus lui-même. Ce Verbe fait chair prononcé sur la chair fait que la chair devienne Verbe. Selon St Paul, Jésus « transfigurera notre corps humilié pour le rendre semblable à son corps de gloire, avec la force qui le rend capable aussi de tout soumettre à son pouvoir. » (Ph 3:21)

On transforme le périnée en parole, on en réveille la conscience. Alors, on comment à écouter cette résonance, cet éveil. Car le périnée se réveille. On prononce le mantra mais on écoute le mantra qui s’y est installé.  On écoute le son qui précède tous les sons, car la Parole divine est à l’origine de toutes les paroles et de tous les sons.

 

3. Bénédictions

a. du prochain

En se concentrant sur cet endroit dont on ne parle pas, on se reconnait comme vulnérable, mortel, corruptible et imparfait, tout à fait comme ce monde passager. On accepte d’être physique et terrestre, mais en même temps on a le sentiment de transformer ce qui est précaire pour que, sans cesser d’être matériel, il devienne incorruptible et glorieux.

En ennoblissant le périnée par l’acte de s’asseoir, en transmettant le souffle divin au périnée, et en le consacrant par le mantra, on sanctifie aussi le sol et la matière, comme on a vu. Le méditant se met en rapport avec les étoiles et les espaces infinies. C’est une bénédiction universelle qu’on ressent vivement.

On s’assied. On prend sa place, on est sûr de sa place. On est parfaitement mobile car on est chez soi partout. On sanctifie tout lieu où on se déplace.  On sait même céder sa place, car on se sent assuré n’importe où qu’on se trouve. On ‘donne de la place’ au gens ; c’est-à-dire on ne les empêche pas d’agir. On reconnait qu’eux aussi ont leur place. On leur reconnaît leur être physique et matérielle. La chair fait place à la chair. On reconnaît leur rôle et on sait qu’ils détiennent en eux-mêmes un secret qui est nécessaire au monde. On reconnait qu’en eux se trouve de l’énergie humaine et divine, et qu’ils sont sources de vie. On accepte que chaque personne ait sa place et doit occuper sa place et l’enrichir. On reconnait leur autorité, cette autorité symbolisée par le siège. En se reconnaissant soi-même on les reconnait. En s’acceptant pleinement on accepte autrui en même temps. On se réjouit de leur autorité, car le siège est la source de l’autorité.

On reconnaît, sans peut-être savoir quoi exactement, toutes les possibilités qui sont cachées en eux et que leur méditation sur les chakras peut dévoiler. On reconnaît qu’en eux se passe quelque chose qui n’est jamais advenu dans ce monde, une originalité de la grâce, une connaissance toute nouvelle et une expérience unique, une fenêtre dans un monde, infini, dans le monde à venir, un monde sans lequel nous ne serons jamais complets, un monde qui est leur don aux autres.

Cette reconnaissance invite la reconnaissance mutuelle et complémentaire. Tous ensembles, nous constituons comme une mosaïque qui révèle un visage qui ne sera visible que si chacun trouve sa place. C’est une fraternité universelle, l’humanisme le plus complet, car chaque individu a sa place et contribue à l’ensemble et manifeste les profondeurs de la terre et les sommets du ciel.

Ma propre conscience de moi-même, directe, humble, et véridique, authentique et accueillante, les encourage et les permet aussi de se réaliser. De même que leur confiance qui n’est pas une arrogance me permet d’avoir confiance en moi-même et de me connaitre dans toute ma richesse.

Le pratiquant expérimente comme un rayonnement qui silencieusement se répand et se communiques aux autres. En se recueillent sur le mūlādhāra, il perçoit qu’il le fait aussi au profit des autres, aussi bien que pour son propre profit, car tous partagent le même soi.  L’éveil qui surgit en lui provoque le réveil chez les autres. C’est comme l’aube du monde entier.

Le méditant se sent devenir une racine, une source, un fondement, pour ses prochains. Affermi en lui-même il affirme les autres. Bien ancré en lui-même il stabilise autrui.  Libéré de ses craintes et des désirs, de ses angoisses et sans préconceptions, les autres se sentent libérés aussi. Et vice versa, car chaque être humain profite de l’avancement d’un autre.

b. de Dieu

Cette descente dans le tréfonds est possible car on sait que l’amour nous entoure. On se laisse descendre dans l’amour.

Quelle est la qualité de la prière qui a lieu en ce moment. Il se peut que les versets des psaumes l’expriment, par exemple

Tu me scrutes Seigneur et tu sais, tu sais quand je m’assois quand je me lève, de très loin tu pénètres mes pensées. Que je marche ou me repose, tu le vois, tous mes chemins te sont familiers. Avant qu’un mot ne parvienne à mes lèvres, déjà Seigneur, tu le sais. Tu me devances et me poursuis, tu m’enserres, tu as mis la main sur moi. Savoir prodigieux qui me dépasse, hauteur que je ne puis atteindre. (Ps 138, 1-6)

Mais pour le pratiquant qui se laisse aller dans les bras accueillants de l’abime, sa prière dépasse la récitation de prières. Sa prière est inconsciente mais savante. C’est l’adoration en silence. Il se met ‘par terre’, on devient comme rien devant le Tout. Mais, également en adorant, il devient un avec Celui qu’il adore. Il a le sentiment d’être hors du temps. Il est absorbé dans le silence infini de l’Infini. C’est par l’inspiration qu’il est devenu – il le saura plus tard s’il ne le sait pas déjà – uni avec le Christ placé dans le tombeau,  fondement silencieux du monde à venir.  Sans qu’il s’en rende compte, peut-être, il est uni avec le Christ, celui qui est la pierre maîtresse selon laquelle tout est intégré. (Eph2:20)

La joie se fait voir, car l’ouverture à la connaissance et la sensation de vigueur, révèlent un amour inconditionnel. On se sent aimé dans ce qui plus sembler le plus négligeable, le plus concret, le plus passager de son être. On reçoit alors la capacité de s’aimer dans les aspects les plus ordinaires de la vie. C’est parce qu’on sent se sent n dans u tel chakra qu’on peut fixer son attention sur le prochain chakra, non pas pour l’oublier mais pour l’assumer dans le suivant. Tout suit en ce pèlerinage, cette marche triomphale vers les cieux.

Le méditant s’était recueilli dans le mūlādhāra, la source, la réserve, où tout se trouve mais endormi. La reconnaissance stimule ce centre. Tout comme le serpent qui dort enroulé sur la branche ouvre les eux et commence à se déplier, de même l’énergie commence à agir en lui. On se sent choisi, choyé ; on devient libre et les fontaines surgissent en nous. La descente coïncide avec la montée des eaux vives qui commencent à se répandre et à vivifier les autres chakras.

L’énergie de la connaissance fait que le chakra suivant commence à se réveiller. Leur cours naturel est de s’exciter et de mener au cakra supérieur.

On pourrait dire alors, « Vers toi, Seigneur, j’élève mon âme, vers toi. »

 

II       SUR L’EMPLACEMENT DU SOI (svādhiṣṭhāna)

1. Appuis

a. Le traité Ṣaṭcakranirūpaṇa

Le mot svādhiṣṭhānaprovient de sva, ‘soi’, et adhiṣṭhāna, ‘endroit’, ‘résidence’, ‘position’. Donc svādhiṣṭhāna signifie l’emplacement du soi’.

Selon le Ṣaṭ-cakra-nirūpaṇa v. 14, ce chakra se trouve à la racine de l’organe sexuel sans constituer toutefois un lieu anatomique précis. Il est associé au ‘bulbe’  (kanda) où les deux sexes ‘résident’ : son propre sexe et le sexe complémentaire. L’emplacement anatomique du ‘bulbe’ varie suivant les textes. Selon le Śāktavijñānav. 4 il se trouve un peu au-dessus de l’organe sexuel.

L’élément du premier chakra est la terre dont la couleur est le jaune.  L’élément du deuxième chakra est l’eau dont la couleur est le blanc. C’est de la terre que l’eau surgit, comme d’une source.

La forme du premier chakra est le carré ; celle du deuxième est le croissant de la lune, donc ce moment où la lune qui était cachée commence à se manifester. Le croissant signifie la déesse, Śakti ; le noir, ce qui cache la lune,  symbolise Śiva. Une des épithètes les plus fréquentes de Śiva est Sītāṁśumaulī, ‘Celui qui porte le croissant de la lune en sa chevelure’. Leur étreinte éternelle et cachée est symbolisée par le point qui, selon le Shivaïsme du Cachemire, se divise et forme deux points : c’est l’apparition de l’univers.

Les cinquante phonèmes de l’alphabet Sanskrit sont répartis sur les pétales des six chakras. Sur les quatre pétales d chakra le plus éloigné de la tête, lemūlādhāra, portent les quatre derniers phonèmes de l’alphabète Sanskrit, V, Ś, Ṣ, S. Les six pétales du chakra suivant, le svādhiṣṭhāna, portent les six phonèmes supérieurs, B, Bh, M, Y, R, L. Ce symbolisme indique le retour par le son au tout premier phonème, A, qui transcende tout.

Le phonème principal du mūlādhāra situé dans le carré est LA ; celui du svādhiṣṭhānasitué dans le cercle est le phonème supérieur VA.

On a vu que pendant la méditation sur le premier chakra le triangle se renverse et que ‘le serpent’ s’éveille, se dresse, s’enfonce dans le canal central et pénètre dans le deuxième chakra où le soi (sva)  se réveille.

C’est parce que ce premier chakra est bien établi que le deuxième chakra peut s’éveiller. Le premier chakra reste éveillé alors même que l’attention se dirige sur le deuxième chakra. Il y a progression, non pas élimination. Le méditant reste équilibré alors même que les eaux émergent du tréfonds. Si le dépassement est empêché, et que le méditant refuse d’aborder le deuxième chakra, la qualité du mūlādhāra change. Ce n’est pas la conservation du mūlādhāra mais son avilissement. Si on refuse l’ouverture à autrui, la caractéristique principale du deuxième chakra, le ego (sva), devient égoïsme ; et la stabilité devient rigidité.

b. Le langage

Quand la famille nous annonce la naissance d’un enfant, on demande en premier lieu si la mère et l’enfant se portent bien, et ensuite on demande si c’est une fille ou un garçon. On veut savoir l’identité primordiale de l’enfant, c’est-à-dire son sexe. L’importance de cette région est indiquée également par les multiples injures et jurons, euphémismes et tabous qui la concernent.

C’est là qu’on fait l’amour, c’est là que les ‘eaux’ se mêlent, c’est-à-dire les fluides sexuels. C’est là que l’enfant nait, et c’est sur les genoux de la mère et du père que l’enfant grimpe et se repose.

c. La Bible

Les changements de nom dans le deuxième récit de la création sont indicatifs. Le Seigneur Dieu commence par la formation de ’ādām (‘être terrestre’, au masculin) de adāmā (‘la terre’, au féminin) (Gn 2:7). L’être terrestre provient de la terre.Il a de quoi vivre, car il se nourrit des fruits du verger. Mais le Seigneur Dieu se rend compte que «il n’est pas bon pour l’homme d’être seul » (Gn 2:18) et se met à créer les oiseaux et les animaux du même sol que le ’ādām. Toutefois ils ne plaisent pas à ’ādām. Dieu s’est trompé et doit changer de plan. Il prend le tsela, mot qui revient 40 fois dans la Bible, jamais avec le sens de ‘os’ mais toujours de quelque chose ‘à côté’ comme une annexe ou un ajout. C’est d’une ‘dépendance’ de l’homme et non plus du sol que « Dieu créa ’iš-šāh (la femme) » (Gn 2:22). Ce n’est pas en voyant les animaux comme lui du sol mais envoyant sa compagne, celle formé de sa chair, que soulagé et émerveillé il exclame, ‘Voilà enfin’. Ce n’est que lorsque ’ādāms’engage envers la femme qu’il devient ’îš (homme). Il prononce les premières paroles humaines : « On l’appellera femme (’iš-šāh) car c’est de l’homme (’îš) qu’elle a été prise» (Gn 2:23). Auparavant il n’y a avait que ’ādāmet adāmā ; maintenant il y a ’îšet ’iš-šāh, l’homme et la femme. L’œuvre de la création est fini une fois que « l’homme … s’attache à sa femme, et ils deviennent une seule chair. » (Gn 2:24)

Si le Seigneur Dieu crée les êtres vivants, c’est pour trouver une contrepartie à l’homme. Celle que Adam va nommer « Ève, c’est-à-dire La Vivante » (Gn 3:20), c’est elle qui devient le critère des êtres vivants.

La dernière grande scène de la Bible présente la Nouvelle Jérusalem qui descend du ciel « comme une épouse ». (Apoc. 21 :2 ff). En la dernière prière de la Bible « L’Esprit et l’épouse disent: Viens! » (Ap 22:17), prière répétée encore deux fois, « Viens » (v. 17), “Viens, Seigneur Jésus! (v. 20). De cette façon la Bible installe la polarité homme-femme comme les deux serre-livres qui referment tout le drame du salut.

Dieu bénit l’homme et la femme, «Soyez féconds et prolifiques, remplissez la terre et dominez-la» (Gn 1:28). Ce n’est pas aux animaux et aux oiseaux mais à l’homme et la femme, responsables à Dieu, de gouverner en sagesse. On ne met pas les lions en charge des moutons ! Parmi les êtres vivants l’homme seul, image de Dieu, est capable de bien conduire tout ce qui vit.

Job maudit le jour de sa naissance « Périsse le jour où j’allais être enfanté et la nuit qui a dit: ‘Un homme a été conçu’. »(Jb 3 :3). Toutefois cette chair si vulnérable, si mortelle, est une merveille. « C’est toi qui as créé mes reins; tu m’abritais dans le sein maternel. Je confesse que je suis une vraie merveille, tes œuvres sont prodigieuses. » (Ps 139:13-14)

Et Qohéleth de donner l’invitation, « Réjouis-toi, jeune homme dans ta jeunesse, que ton cœur soit heureux aux jours de ton adolescence, marche selon les voies de ton cœur et selon la vision de tes yeux. » ( Qo11.9)

Le Cantique de Cantiques, a toujours occupé une grande place dans le judaïsme. Selon l’auteur du Zohar, œuvre kabbalistique, Le Cantiquerésume toute l’Écriture. Ilprésente les délices de l’amour. « Que tu es belle, ma compagne, que tu es belle! Tes yeux sont des colombes! Que tu es beau, mon chéri, combien gracieux! Combien verdoyante est notre couche!… Comme un lis parmi des ronces, telle est ma compagne parmi les filles.Comme un pommier au milieu des arbres de la forêt, tel est mon chéri parmi les garçons. » (Ct 1:15-16, 2:2-3).

Le psalmiste se réjouit de la fécondité familiale. « Ta femme est une vigne généreuse au fond de ta maison; tes fils, des plants d’oliviers autour de ta table» (Ps 128:3). « Telles des flèches aux mains d’un guerrier, tels sont les fils de votre jeunesse » (Ps 127:5).

Avant même que Dieu ne dise «Que la lumière soit»!  on apprend que « le souffle de Dieu planait à la surface des eaux » (Gn1.2), et avant la formation de ’ādāmon entend que « un flux montait de la terre et irriguait toute la surface du sol. » (Gn2.6) L’eau prépare le monde. Il y a aussi le dialogue des eaux: « Les flots de l’abîme s’appellent l’un l’autre, au fracas de tes cataractes. » (Ps 42:8) Ce monde est un flux incompréhensible, un tout en rapport avec tout, constamment renouvelé.

Le flot des larmes purifie. « Dès maintenant, oracle du Seigneur, revenez à moi de tout votre cœur avec des jeûnes, des pleurs, des lamentations. » (Jl 2:12) Dieu aussi versera de l’eau pour laver et purifier : « Je ferai sur vous une aspersion d’eau pure et vous serez purs; je vous purifierai de toutes vos impuretés et de toutes vos idoles. »(Ez 36.25) ; et pour assainir et rendre fécond :  « Quand cette eau [qui vient du Temple] s’est jetée dans la Mer Morte, les eaux sont assainies. … Ainsi le poisson sera très abondant, … il y aura de la vie partout où pénétrera le torrent. » (Ez 47 :8-9)

Pendant la Fête des Tentes, où l’on récitait des prières pour la pluie,  le prêtre versait de l’eau en libation pour faire fructifier la terre. Jésus, lors de cette Fête,  proclame que c’est de son cœur que l’eau viendra pour désaltérer ceux qui croient en lui. (Jn 7.38) Cette promesse est accomplie lorsque « undes soldats, d’un coup de lance, le frappa au côté … aussitôt il en sortit du sang et de l’eau » (Jn 19:34), scène qui depuis toujours est interprétée comme la formation de l’Église, la nouvelle Ève venant du deuxième Adam ensommeillé.

Jésus se reconnaît comme époux (Mc 2 :19-20). Ce n’est pas seulement une idée ; il se ressent comme tel. Trois fois dans l’évangile de S. Jean, Jésus se trouve seul avec une femme. La première fois c’est avec la Samaritaine (Jn 4). Dans le symbolisme biblique le numéro 7 indique de la plénitude, le numéro 6 signifie ce qui est insuffisant et pécheur. La Samaritaine a déjà eu cinq maris et le sixième homme qui vit avec elle n’est pas un mari. Jésus est le septième homme en sa vie, celui qui va enfin lui porter bonheur. Il lui donnera à boire et cette eau deviendra en elle « une source jaillissant en vie éternelle » (Jn 4:14). Et celle qui fut saisie en flagrant délit (Jn 8 ff.) se trouve de nouveau seule avec un homme, Jésus, qui ne la condamne pas. Après la résurrection, Jésus et Marie Madeleine se trouvent seuls dans le jardin, le nouvel Adam et la nouvelle Ève dans le nouvel Éden.

Jésus aime sans trêve et invite ses disciples à « demeurer dans son amour, » (Jn15:9) ce même amour avec qui Dieu l’a aimé, Dieu qui d’un « amour éternel a aimé » son Peuple. (Jr 31:3). C’est avec ce même amour divin que le méditant pourra contempler son prochain.

Jésus n’a pas peur de se faire ami des prostituées ou de sentir les larmes et le parfum de la femme pécheresse. (Lc 7 :38) Et la femme avec l’hémorragie : elle est impure et tout ce qu’elle touche devient impure, sauf le Seigneur virginal dont elle reçoit non pas malédiction mais guérison. (Lc 5 :25 ss.)

La piété chrétienne vénère l’utérus de la Vierge qui est la porta caeli. C’est à l’Enfant assis sur ses genoux que les mages offrent leurs dons. Et l’Ave Maria parle de ses ‘entrailles dont le fruit, Jésus, est bénit.’ Cette franchise est à remarquer.

La virginité chrétienne, doit-elle refuser les bonheurs du deuxième chakra ?  Il semblerait que c’est bien le cas. S. Paul dit « Le temps est écourté. Désormais, que ceux qui ont une femme soient comme s’ils n’en avaient pas. » (1Co 7 :29 )Jésus lui-même dit « Ceux qui ont été jugé dignes d’avoir part au monde à venir et à la résurrection des morts ne prennent ni femme ni mari. » (Lc 20:35) Ces textes, mal compris, laissent penser que la sexualité n’a pas de place dans le monde à venir. Mais au contraire, le corps humain ressuscité n’est pas un corps mutilé. Et on sait que la spiritualité chrétienne a toujours présenté le mariage mystique comme le symbole parfait du bonheur céleste. Le Pape Benoît XVI dans Deus Caritas est déclare que l’eros peut être un avant-goût du ciel. Et dans son Amoris Laetitiale Pape François consacre trois paragraphes au sujet de l’eros.

L’eunuque éthiopien cite le texte de Isaïe qui lui rappelle son émasculation. « Sa génération, qui la racontera? Car elle est enlevée de la terre, sa vie. » (Ac 8:33). Ayant entendu la bonne nouvelle de Jésus crucifié et ressuscité, il se fait baptiser par Philippe et repart dans son pays en reconnaissant son identité avec Jésus, « l’agneau traîné à l’abattoir » (Is 53 :7).

Il y a d’autres façons d’être fécond. Si Jacob est le père des douze patriarches par la puissance de son sperme, Jésus choisit librement ses douze apôtres pour les envoyer semer la bonne nouvelle. Jésus fait le contraste exprès entre la puissance physique de Jacob et la puissance encore plus féconde de ses paroles.

On ne finira jamais de citer les textes bibliques qui concernent le deuxième chakra. Finissons avec un verset qui présente la suite des chakras comme un fleuve menant au Plus Haut. « Comme une biche se tourne vers les cours d’eau, ainsi mon âme se tourne vers toi, mon Dieu. J’ai soif de Dieu, du Dieu vivant: Quand pourrai-je entrer et paraître face à Dieu? » (Ps 42: 2-3)

 

 2. Approches

a. par le corps

L’attention du méditant est portée sur la région du svādhiṣṭhāna, ce lieu si sensible et si puissant, dont il faut bien comprendre toute la richesse. Tout comme la clarté de l’aube fait ouvrir le lotus, la lumière de l’attention fait voir la beauté de ce chakra.

Mais quelle est cette attention ? Dans tradition chrétienne, Dieu est lumière, et Jésus est Lumière née de la Lumière qui vient illuminer le monde. Le méditant devenu lui-même lumière (Mt 5 :14) pose sur ce lotus un regard pur, un regard heureux, un regard bienveillant.   Son regard, comme ‘les pleurs, et les lamentations’ du pénitent,purifie ce chakra de toute souillure, s’il en est.  Cet éveil se fait précisément sous le regard de Celui qui est toujours éveillé et lucide.

Le méditant se réveille, et dans sa méditation silencieuse, éprouve un sentiment d’émerveillement. Il reconnaît que son sexe, cette «vraie merveille »,  fait partie du courant de la vie qui déverse ses eaux dans tous les sens et sous toutes ses formes : le monde des animaux et des insectes, des oiseaux et des plantes ; toutes les formes, heureuses et malheureuses, magnifiques et négligeables. Ce monde est une mosaïque de la vitalité sexuelle, une écologie de la sexualité où les variations particulières sont nécessaires au bien-être de l’ensemble.

Ce chakra retient les souvenirs de ce qui se passe dans l’utérus, de l’influence familiale et sociale. La maturation de ce centre change le caractère de l’adolescent. C’est la floraison de la jeunesse, le printemps de la vie.  On l’a vu : « soit heureux aux jours de ton adolescence, marche selon les voies de ton cœur et selon la vision de tes yeux. » (Qo11.9) Il conserve aussi le souvenir des traumatismes et des réussites. La honte, la fierté, l’admiration, la peur, la tristesse, l’espoir et le désespoir – toutes les émotions peuvent s’y trouver. Il garde l’histoire personnelle du méditant, et celle des générations passées, car la sexualité est héritée et se plonge dans les profondeurs du temps. Toute l’histoire de l’humanité s’y trouve cachée, insoupçonnée, et que l’attention portée sur ce chakra est en voie de découvrir.

Ce chakra qui résume le passé est également la source de l’avenir.  Ce ne sera peut-être pas le sexe individuel du méditant qui donnera naissance aux nouvelles générations, ces « plants d’oliviers »,mais il fait partie de la tribu qui assure le futur de l’humanité, et il s’en réjouit.

Tout cela se transfert dans le sentiment du ‘soi’, le ‘sva’ du svādhiṣṭhāna.

Le méditant s’accepte tel qu’il est, sans répression, sans peur, sans dégout. Si un problème existe, il peut bien chercher une solution. S’il y a eu abus ou trauma, il faut chercher le redressement de la justice et en même temps faire preuve de la miséricorde, car sans le pardon envers soi-même et l’autre le trauma perdure

De même que les empreintes les doigts et les couleurs de l’iris sont propres à chaque individu, la qualité sexuelle d’un tel diffère de celle d’un autre, de sorte que les sentiments et les formes de la sexualité sont d’une grande variété.

Les troubles psychiques qui proviennent des malentendus et de l’incertitude au sujet de cet endroit du corps sont aussi bien connus. Le méditant serait peut être tenté de dire comme Job, « Pour pain je n’ai que mes sanglots, ils déferlent comme l’eau, mes rugissements. » (Jb 3 :24) Mais c’est en acceptant ses limites qu’il peut les dépasser. Car le but de la méditation sur ce chakra n’est pas de le changer mais de le laisser s’épanouir. C’est alors qu’il dira comme Job, « C’est bien dans ma chair que je contemplerai Dieu. » (Jb 19:26)

Au sujet de ceux qui souffrent d’une sexualité blessée, rappelons-nous de la joie de l‘eunuque éthiopien qui s’en est allé réjouissant, sachant son identité avec Jésus humilié. Peu lui importait d’être ‘normal’ ou d’être ‘différent’.

Il se peut qu’on ressente une contraction spontanée du ‘bulbe’ ou plus généralement en cet endroit du corps. S’il y a un ‘mouvement de la chair’, on ne le refuse pas. On reste calme et on ne fait rien. C’est l’éveil du centre sexuel. Même si on pense qu’il serait bien de s’extérioriser de quelque façon, on reste sans bouger car les actes extérieurs constituent une distraction qui empêcherait l’intériorisation. Il s’agit de transfigurer le corps par l’illumination intérieure. L’expérience va s’épanouir et frayer le chemin à d’autres expériences qui font partie de la grande procession vers le centre suprême.

En créant l’être humain à son image, Dieu distingue entre homme et femme.  (Gn 1 :27) Il crée différence et non pas opposition, polarité et non pas rivalité. Cette complémentarité signifie orientation,  l’un envers l’autre et donc désir. C’est dans le rapport sexuel et interpersonnel que l’image de Dieu se trouve.

Les deux premiers chapitres de la Bible promettent le plaisir, et c’est dans ce deuxième chakra que ce plaisir commence à se manifester, ainsi que son dynamisme et sa force inébranlable. « Que tu es belle, ma compagne, que tu es belle! … Que tu es beau, mon chéri, combien gracieux! Combien verdoyante est notre couche !

Le pratiquant se met alors à discerner quel est le désir le plus intime et le plus authentique, non pas un appétit passager, mais la soif irrésistible. Il perçoit ce besoin de posséder, d’acquérir, et de toucher. Quelle est l’ouverture, quel est le rapport,  quelle est l’ambition, quelle est la fécondité, quelle est la maitrise? Dans la tranquillité de la méditation il distingue entre les différentes aspirations, celles qui reviennent, celles qui ouvrent l’esprit et provoquent un tremblement au plus profond de son être. C’est l’intelligence du désir.

Il ne s’agit pas d’assouvir des fantaisies mais de reconnaitre l’orientation essentielle vers ce qui fait vivre. On cesse d’être refoulé ou passif ; on cherche et on s’extériorise ; on ressent vigueur et résolution.

Du fait, le plaisir déjà ressenti et anticipé ouvre l’esprit à la possibilité du plaisir débordant et universel. L’esprit s’ouvre sur un vaste champ de bonheur. Le méditant ne s’attache pas à une jouissance précise, car si elle lui préoccupe l’esprit, le chemin est bloqué et la jouissance se gâche car elle n’est qu’une étape qui mène à une jouissance encore plus intense et élevée.  Le méditant éprouve un désir de jouir infiniment et éternellement. Il veut que cette jouissance continue sans arrêt et soit toujours plus grandissante. Comme « les flots de l’abime qui s’appellent » la joie appelle à la joie dans une joie sans bornes.  Il y a l’impression que la jouissance peut dépasser le temps et qu’aucune trace de la mort n’y est présente. La soif se fait sentir alors de jouir de l’univers entier sur tous les niveaux là où finalement se trouvent repos, permanence, plaisir éternel, et le grand « enfin ». Les plaisirs prometteurs d’une joie permanente attirent puissamment. Les plaisirs transitoires finissent par dégoûter. Tout ceci est ressenti pendant la méditation et en fait voir la richesse.

L’éveil de ce chakra comporte un sentiment de puissance et d’énergie, de prouesse sexuelle et de confiance, de ‘pouvoir faire’ et de ‘vouloir faire’, d’élan et d’extériorité, d’amour propre et d’un amour envers l’autre. Il fait partie de l’immense confiance qui est au début et à la fin de tous les chakras, cette foi spontanée qui provient d’une foi dans le corps, dans ce monde, dans notre avenir. En méditant sur ce chakra on commence à apprécier son individualité et sa créativité, sa liberté, son autorité éternelle, le devoir même de contribuer quelque chose de nouveau.  Toutes les possibilités se manifestent. L’avenir s’étale devant soi. La femme surtout ressent l’immense capacité associée avec ce centre. Que vais-je faire, quel est mon devoir, quel est mon choix, quelle possibilité se présente,  quel sera le résultat satisfaisant? Il évoque le désir d’entrer en rapport, de choisir et d’être choisi, accepté, envoyé, de faire plaisir et de recevoir le plaisir, et de jouir ensemble. « Aussi l’homme laisse-t-il son père et sa mère pour s’attacher à sa femme, et ils deviennent une seule chair. » (Gn 2:24) En la contemplant, c’est comme s’il ne faisait plus de cas des êtres dont il est le maitre, comme s’il était oublieux de lui-même aussi.

C’est l’extase, car il sort de lui-même pour s’unir à sa femme. Cette extase ouvre l’esprit à l’extase infinie, car on veut aller plus loin, plus profondément, et plus haut. L’expérience du désir attise le désir qui ne finit jamais d’accroitre, car le Dieu infini est insondable.

On reconnaît l’autre vers qui tout son être se dirige. On aime,  on veut être aimé. On cherche l’amour. Il y a un sentiment de vigueur et d’énergie. Le corps se dresse, et la posture s’améliore. Le sentiment de vitalité qui vient de ce chakra inonde le corps entier Ce changement spontané et les sensations qui l’accompagnent donnent santé et vigueur au corps.

De même, le sentiment de la capacité à créer un monde nouveau se fait ressentir. Cela peut se réaliser dans la génération sexuelle, mais également le méditant peut choisir une expérience sexuelle et une fécondité accrue qui sont indiquées par ce qu’il expérimente déjà.

C’est le jaillissement de la vie, qui se manifeste dans cette région qui a tout à faire avec la vie, pour procréer et faire naitre. On se penche donc sur sa capacité de recevoir la vie et donner la vie, d’imaginer ce qui n’a jamais existé. Chaque homme peut se voir comme le nouvel Adam, la femme comme la nouvelle Ève.

Créés à l’image de Dieu, le mâle et la femelle reçoivent la commande de devenir féconds, de remplir la terre et de veiller sur tous les êtres vivants, (Gn 1:27-28) commande qui se réfère à ce chakra.

La question se pose au sujet de l’homosexuel. Le renversement du triangle dans le mūlādhāra, c’est-à-dire le retournement des forces vitales qui se lancent de chakra en chakra jusque sommet fait que l’orientation sexuelle est d’elle-même secondaire. L’emportement, quel que soit son origine, est dirigé vers le haut et permet l’éclosion du centre supérieur. La méditation sur ce chakra est effective pour l’homosexuel comme pour l’hétérosexuel. Ce qui permet cette ascension est à suivre; il faut exclure ce qui ne la permet pas.

b. par l’imaginaire

L’image d’une personne connue peut animer ce chakra. Il se peut, aussi, que les couches profondes se manifestent et que des images se présentent spontanément. Le méditant les reconnaît mais ne les cherche pas.

Le méditant peut adopter le caractère de l’eau, souple et sinueuse, en rapport changeant avec tout ce qui l’entoure. Il s’imagine comme le fleuve irrésistible qui ne cesse de trouver son chemin vers la mer, sachant se détourner ou creuser de nouveaux parcours.

Les scènes bibliques aussi peuvent éveiller ce centre. On s’imagine comme Adam, responsable de la terre et de tous les êtres vivants. On s’imagine comme Ève, ‘La Vivante’, qui fait naitre incessamment. On imagine l’instant où Adam et Ève se rencontrent et s’émerveillent l’un de l’autre. On s’imagine engagé, comme le premier couple, au bienêtre de l’environnent. On s’imagine comme le palmier (Ps 92:15), qui fructifie même quand il est âgé.

Le vêtement est une deuxième ‘personne’, la personaque portaient les acteurs pour indiquer leur rôle. L’habillement ou le manque d’habillement est choisi pour raffermir l’image qu’on se fait du soi.

c. par le souffle

L’haleine est double : une inhalation et une exhalation, l’une préparant l’autre, l’une en rapport avec l’autre.  Elles sont complémentaires. La complémentarité du sexe se retrouve dans la complémentarité des souffles. La friction de l’inhalation et de l’exhalation ressemble au frottement des rapports sexuels.

Le souffle conscient s’épanouit, et le Souffle divin est discerné, cet Esprit qui habite tout esprit. « Tu leur reprends le souffle, ils expirent et retournent à leur poussière. Tu envoies ton souffle, ils sont créés, et tu renouvelles la surface du sol. » (Ps 104:29-30)

On projette ce souffle à la fois humain et divin dans le chakra pour le transformer et l’animer, pour le réchauffer et l’éveiller.

On peut ce faire tout en contractant légèrement le sexe comme on a contracté le périnée dans le premier chakra.

Au fur et à mesure que ce chakra est enrichi, l’haleine des poumons devient plus calme et plus ressentie ; et alors même que l’haleine se ralentit les poumons semblent se remplir d’avantage. C’est comme le soulagement de la grâce

Quand les souffles deviennent équilibrés, la montée de l’haleine se fait sentir dans le canal du milieu, cette tige du lotus qui s’étend du fond du lac jusqu’à la surface. C’est la montée de l’esprit humain vers Dieu.

d. par le mantra

Selon le Ṣaṭ-cakra-nirūpaṇala forme phonique de ce chakra est la semi-voyelle VA. Ce chakra est affirmé par la récitation de son mantra ; ses pouvoirs sont activés, car le vocable n’est pas seulement un son, il est un geste créateur.

Les mantras innombrables de la Bible – soit une exclamation, un mot, ou même une phrase entière– sont tous divinement révélés. Le mantra choisi et chériest une expression du Verbe par qui tout fut créé et qui est devenu chair. En projetant le mantra dans ce chakra, le méditant lui communique toute la richesse du Verbe suprême. Or, le corps même de Jésus est le mantra suprême prononcé en cette terre. Le corps du méditant devient alors le corps de Jésus, le Verbe fait chair (Jn 1:14), et il s’en réjouit.

Selon la Bible, le premier mot prononcé par la voix de l’homme est ‘enfin’, un cri de joie qui annonce l’apogée de la création : la femme. Le ‘viens’ de la dernière prière de la Bible sera suivi par le grand ‘enfin’ lorsque Jésus revient pour parachever le salut. Le méditant peut choisir ce ‘viens’ comme son mantra et le répéter avec confiance. Il espère, avec cet espoir qui ne trompe pas, que le grand enfin viendra, et il en anticipe le plaisir.

Ou bien, en reconnaissant la richesse de ce monde confié au genre humain, le récitant pourrait s’exclamer, « Quand je vois tes cieux, œuvre de tes doigts, la lune et les étoiles que tu as fixées, qu’est donc l’homme pour que tu penses à lui, l’être humain pour que tu t’en soucies? Tu en as presque fait un dieu: tu le couronnes de gloire et d’éclat; tu le fais régner sur les œuvres de tes mains; tu as tout mis sous ses pieds. » (Ps 8:4-7).

Ou bien, le récitant peut répéter à l’instar de Jésus, «Voici, je viens avec le rouleau d’un livre écrit pour moi. Mon Dieu, je veux faire ce qui te plaît, et ta loi est tout au fond de moi». (Ps 40:8-9)

C’est au pratiquant de percevoir quel texte de la Bible le touche au plus près: voilà son mantra.

 

3. Bénédictions

a. du prochain

L’esprit éveillé du méditant se tourne vers l’autre dans son altérité unique, et en appréciant la variété surprenante qu’il contribue au monde l’action de grâces jaillit spontanément à son sujet.

Même le caractère discordant d’une autre personne cesse de le contrarier. La jalousie n’a pas de place non plus. Au contraire, la générosité propre à ce chakra se réjouit des avantages qui viennent à autrui. Le méditant souhaite que son prochain devienne pleinement en réalité ce qu’il est en principe, et que ses dons soient appréciés et couronnés de succès.

Il y a action de grâces aussi pour les générations passées qui ont contribué à la merveille humaine. Il y a bienveillance et encouragement envers les générations à venir, dans leur futur inconcevable. Également, le sentiment de solidarité fait qu’on souffre avec ceux qui souffrent, et qu’on se réjouit du bonheur des autres.

Les faiblesses et les manques sont acceptés aussi. Dans l’élan de miséricorde on se pardonne, tout comme on pardonne à ceux dont le comportement est injuste et indigne. Cet amour fraternel est une consécration. « Oh! quel plaisir, quel bonheur de se trouver entre frères! C’est comme l’huile qui parfume la tête, et descend sur la barbe, sur la barbe d’Aaron, qui descend sur le col de son vêtement. » (Ps 132 :1-2)

Le rapport interpersonnel est nécessaire à la vie humaine.  L’ādām était seul, et pour la première fois dans la Bible on entend les paroles «Il n’est pas bon … » (Gn 2:18). L’homme et la femme se réfèrent essentiellement l’un à l’autre, anatomiquement et émotionnellement. Bien qu’ils soient profondément différents c’est précisément dans leur rapport paradoxal que l’énergie se déploie. Ils sont une bénédiction mutuelle.

Ce chakra, dont l’élément est l’eau, est la source des fluides qui vont assurer la continuité du genre humain et qui sont une des bénédictions matérielles que le couple se présente l’un à l’autre. Le célibataire aussi, en méditant sur ce chakra, demeure dans le sentiment de la puissance de féconder ou de faire naitre, que cette puissance soit la sienne ou celle des autres.

b. de Dieu

Les élans du désir, de l’énergie, du plaisir, et de la créativité surgissent lors de l’éveil de ce chakra. Mais en même temps le méditant en reste détaché et libre car l’esprit vise premièrement et principalement Celui qui dépasse tout, « ‘O Toi l’au-delà de tout’ » selon l’hymne de Grégoire de Nazianze. Il y a l’acte d’adoration sans paroles, apophatique.  Le méditant, ayant apprécié « les perfections invisibles, éternelle puissance et divinité, visibles dans ses œuvres » (Rm 1 :20) rend grâce à Dieu dans le ravissement, « Les 24 anciens se prosternaient devant celui qui siège sur le trône, ils adoraient le Vivant pour les siècles des siècles et jetaient leurs couronnes devant le trône en disant: ‘Tu es digne, Seigneur notre Dieu, de recevoir la gloire, l’honneur et la puissance, car c’est toi qui créas toutes choses; tu as voulu qu’elles soient, et elles furent créées.’ »(Ap 4:10-11)

Le mot ‘chakra’ signifie ‘roue’. L’enchevêtrement des roues fait que le démarrage de l’une mène au démarrage d’une autre. Essayer d’arrêter l’une d’elles empêcherait la bonne marche de toutes. Le fonctionnement de l’une mène non seulement à la suivante mais aussi à celle qui est la fin de tous les chakras. C’est pour cela que « la biche a soif des eaux » et se tourne vers Dieu. On veut gouter infiniment la joie dont on a déjà eu une expérience préliminaire. Au fur et à mesure que les chakras s’ouvrent l’un après l’autre, l’éveil devient l’éblouissement et l’éblouissement devient extase sans fin.

Le svaest bien établi. Il ne sera pas abandonné mais il ne retiendra plus autant l’attention.  En percevant son ambition essentielle le méditant passe ensuite au prochain chakra qui est celui du courage et de la résolution. Le désir devient choix, plus clair et plus assuré. L’énergie devient plus puissante et se déferle dans le maṇipūra.

 

III.     SUR LE LIEU DU JOYAU (maṇipūra)

1. Appuis

a. Le traité Ṣaṭcakranirūpaṇa

Le motmaṇisignifie ‘joyau’, ‘bijou’, et même ‘perle’. Le mot purasignifie ‘forteresse’, ‘ville’, ‘réceptacle’ etc. ; et le mot pūra signifie ‘abondance’, ‘gonflement’ etc. De cette façonle termemaṇipūrasignifie ‘lieu du joyau’, ‘profusion de gemmes’.

Ce centre est situé dans la région du nombril et plus généralement dans la région de l’abdomen et de l’estomac. Et l’on sait l’importance du cordon ombilical et du sang par lequel le fœtus reçoit la nourriture, par lequel il ressent les émotions de la mère et par lequel son caractère commence déjà à se former. Cette région conserve les souvenirs en profondeur de l’enfant grandissant. On sait aussi les tabous et les ordonnances de puretéqui font des règlesun aspect sinistre de la femme.

Les textes hindous disent que 72,000 canaux rayonnent du nombril pour se propager dans le corps qui sont comparables aux reflets multiples d’un diamant.

La couleur du chakra est le rouge ; son élément est le feu. L’élément du premier chakra, on l’a vu, est la terre ; du deuxième, l’eau ; du quatrième, l’air ; du cinquième, l’espace. Le feu est l’élément central des cinq ‘essences’ qui sont en train de devenir de plus en plus imprévisibles et invisibles.

La forme visuelle en est le triangle dont la pointe est tournée vers le bas comme dans le premier cakra et dans presque tous les chakras. La méditation sur ce chakra renverse le triangle pour que l’énergie se lance plus loin dans le canal du milieu.

Ce chakra s’entoure de dix pétales. Le premier chakra en avait quatre; le deuxième, six ; le quatrième, douze ; le cinquième, seize. Le nombre croissant de phonèmes signifie qu’en en montant le canal, la sonorité s’accroit, tout comme la lucidité de la conscience.

Au centre du triangle se tient la semi-voyelle, RAṂ, synonyme du feu à tel point qu’un écrit peut utiliser RA pour désignerle feu.

b. La Bible

Le thème du feu revient constamment. C’est dans le buisson ardent que Dieu déclare, « Je suis ». Isaïe perçoit le Très Saint, et lorsqu’il se déclare impur l’ange lui efface les péchéspar un charbon de feu (Is 6:6-7). Le ‘feu’ a donc une double portée : révélation divine et exigence de pureté. « Ma parole n’est-elle pas un feu » (Jr 23,29).  Ce feu ‘dévore’ l’impureté (Ex 20,5). Le creuset de l’humiliationaffine le Peuple (Is 48,10).Le ‘Jour de JHVH’ brule comme un feu (Ml 3,19) à la fin des temps. Le feu signifie aussi l’ardeur de l’amour qui triomphe de tout; « ses flammes sont des flammes ardentes … et les fleuves ne le submergeront pas »  (Ct 8, 6-7).

Le Nouveau Testament adopte et développe ces thèmes. Jésus vient baptiser, non pas dans l’eau comme Jean le Baptiste mais “dans l’Esprit Saint et le feu”(Lk 3,16). Il s’exclame, « C’est un feu que je suis venu apporter sur la terre, et comme je voudrais qu’il soit déjà allumé! »(Lc 12,49) ». Ce feu viendra le jour de la Pentecôte (Ac 2,3).

Le sujet de la nourriture revient constamment aussi. Le jour même de la création de l’homme et de la femme, Dieu leur donne les herbes et les fruits de la terre à manger. Mais la nourriture véritable est la parole « qui sort de la bouche de JHVH» (Dt 8,3). Jésus de sa part, se lie en amitié avec les prostitués et les pécheurs en partageant leurs repas, malgré les protestations de ses ennemis. La nourriture suprême est le royaume de Dieu, qui seul peut satisfaire à toutes les faims humaines (Mt 6,33).

Les rapports humains s’affermissent par les repas; le succès est célébré par les coupes de champagne. Par contre le désaccord entre les Églises se manifeste précisément par le refus de se partager le Pain de la vie. Ils se refusent en refusant leur Eucharistie.

La nourriture servira comme signe de fidélité ou d’infidélité. Le péché originel est commis à l’instant précis où Adam et Ève mangent le fruit défendu (Gn 3,6).  Au Mont Sinaï c’est par le sang des bêtes que l’alliance est scellée entre JHVH et les Hébreux (Ex 24,8), ce qui est suivi par un festin où « les privilégiés des fils d’Israël … contemplèrent Dieu, ils mangèrent et ils burent » (Ex 24,11).Trahison et fidélité se manifestent par la boisson. « Les divinités de cette terre, … je ne leur offrirai plus de libations de sang, et mes lèvres ne prononceront plus leurs noms. JHVH, mon héritage et ma part à la coupe, tu tiens mon destin » (Ps 16,3-5). La foi sans ardeur est dégoutante. « Parce que tu es tiède, et non froid ou bouillant, je vais te vomir de ma bouche » (Ap 3.16).

L’engagement de S. Pierre et des apôtres se fait dans le contexte de la nourriture. Jésus annonce qu’il est le Pain descendu de ciel (Jn 6.51) et que « celui qui mange ma chair et boit mon sang demeure en moi et moi en lui » (cf. Jn 6,56). Mais certains de ses disciples résistent. «Cette parole est rude! Qui peut l’écouter»? (Jn6,60)et « cessent de faire route avec lui » (Jn 6,66).Simon-Pierre, par contre proclame « Tu as des paroles de vie éternelle. Et nous, nous avons cru et nous avons connu que tu es le Saint de Dieu». (Jn 6,68-69)

Aux disciples scandalisés Jésus fait savoir qu’il y aura encore de plus scandaleux quand il retourne au Père, c’est-à-dire quand il sera élevé sur la croix. Mais c’est précisément parce qu’il est sacrifié qu’il peut devenir la nourriture vivifiante, bien mieux que les agneaux et les bœufs sur l’autel du Temple.

Le sacrifice réunit les thèmes du feu et de la nourriture. Leur rapport apparait pour la première fois lorsque Abel immole l’agneau (Gn 3,4). Noé « offrit des holocaustes sur l’autel. JHVHrespira le parfum apaisant et se dit en lui-même: «Je ne maudirai plus jamais le sol à cause de l’homme » (Gn 8.20-21). L’alliance avec Abraham  (Gen 15,17) se fait dans le feu sacrificiel alors que Dieu lui promet la Terre Sainte. Le sacrifice par excellence est l’holocauste où la victime est entièrement consumée par le feu, entièrement offerte à Dieu.

L’ardeur du zèle dont Jésus fait preuve en nettoyant le Temple à Jérusalem va le dévorer(Jn 2,17). Lui-même deviendra le sacrifice, l’holocauste offert une fois pour toutes. Alors que des victimes égorgées sur l’autel dans le Temple on mangeait les restes, du sacrifice suprême tout est offert à Dieu ; rien n’est réclamé. Jésus est offert à Dieu sans rien laisser sur la terre. Il est l’holocauste parfait, entièrement consumé par le feu de l’amour.  Le tombeau est vide.

Le jour de la première Pentecôte, les pèlerins venus du monde entier se moquent des disciples, disant qu’ils ont bu trop de vin. La venue de l’Esprit Saint est comme une ivresse qui leur donne le courage de proclamer la foi alors que, auparavant, le jour de Pâques, ils s’étaient enfermés dans « une maison par craintedes Juifs »(Jn 20,19).

Le Christ est fidèle à Celui qui l’a envoyé, ferme jusqu’à la mort ; et le chrétien fidèle suivra son exemple (2 Tim 2,11s). Cet engagement perdure même devant les épreuves, car les saints auront à témoigner de leur constance (Ap 13,10 ; 14,12).

L’annonciation à Marie se fait par l’archange Gabriel, mais le Verbe est conçu dans ses entrailles au moment seul où elle prononce son ‘fiat’. C’est la Vierge qui, dans la région du maṇipūra,réalise le projet de Dieu et fera luire sur la terre la Lumière née de la Lumière.

 

2. Approches

a.       par le corps

Le torrent surgit du rocher. Mais quel sera son cours? Va-t-il se dissiper dans les sables du désert ou devenir un fleuve? La terre, l’eau et la chaleur : ces trois éléments travaillent ensemble. L’arbre situé sur la rive et nourri par le soleil donnera ses fruits.

L’éveil du deuxième chakra a révélé la multitude des choix possibles. Va-t-on hésiter et vaciller devant tant de richesses ? Le troisième chakra regarde le moment où le désir s’affermit et se précise.

Le regard d’Adam qui se tourne vers Ève se fait avec référence à cette partie du corps – « l’os de mes os, le chair de ma chair » (Gn 2,23). C’est parce que l’engagement éventuel envers les autres se fait sentir dans ce chakra.

Il ne s’agit pas nécessairement de changer de disposition pendant la méditation sur ce chakra car il se peut qu’on soit depuis longtemps à l’aise avec son train de vie. Il s’agit plutôt d’une reconnaissance de l’orientation et de la motivation la plus intime qui se manifeste constamment et de multiples façons, qui est parfaitement adaptée aux circonstances changeantes de la vie. Il s’agit de se rendre compte de l’authenticité de son être même, de le purifier, de le désirer plus ardemment, de discerner son ampleur, de l’affirmer, et d’y trouver une joie accrue.

Il se peut, pendant la méditation sur ce chakra, que je me rende compte qu’il y a un Autre aussi qui m’oriente, celui qui dit « Je suis ». Dès le début, au premier chakra, sur le fond sans fin, à l’origine de la source, le « Je suis » ma choisi et m’a suggéré dans le cœur le chemin à suivre. Je ne suis pas seul. J’ai entendu tout bas la voix qui me dit, ‘Voilà ton chemin, voilà ce qui sera utile et t’accordera la paix.’  Je ressens plus clairement que mon élan parfaitement libre est aussi une obéissance.

Le ‘Je suis’ divin établit mon ‘je suis’ personnel. Je me rends compte de mon identité et de mon ego qui ne me limite plus et dont je n’ai plus raison d’avoir honte.

La volonté humaine en moi est divinisée, et de même la volonté divine s’est humanisée en moi.   Ma volonté humaine manifeste la volonté divine ; ma volonté humaine est éternisée. Le désir divin et le désir humain constituent deux énergies, réunies et sans faille.

L’essor de mon esprit est conforme à la volonté divine, conforme aussi au destin du monde. L’alliance faite avec Noé, avec Abraham et les Hébreux, l’alliance nouvelle et éternelle établie par le Christ, trouvent leur écho dans l’attrait de l’engagement personnel et universel que je discerne plus lucidement en moi-même alors que je pose un regard tranquille sur ce chakra. C’est comme si de toutes parts j’entendais ‘Oui’, ‘C’est bien’. J’ai le sentiment que tout ce qui visible et invisible est d’accord avec moi. Une paix universelle s’installe en moi et se propage autour de moi.

Je ressens une chaleur qui monte, un feu qui donne son ardeur au parti pris. Ce n’est pas une tendance distante et froide, ou une fantaisie insensée mais une attirance qui réchauffe le cœur. L’éveil de ce chakra est un embrasement. Le feu enflamme le désir; l’attrait attise le feu. I est comparable à l’Esprit qui nous pousse (cf. Mc 1 :12) dans une certaine direction.

Le deuxième chakra concerne l’eau ; ce chakra regarde le feu, non seulement les énergies humaines mais aussi l’Esprit divin qui vient confirmer mon envie tout comme le jour de la Pentecôte il transforme les disciples en témoins.  La qualité paisible de la chaleur indique l’approbation de l’Esprit, car la ferveur n’est pas une frénésie, mais se fait dans le calme, tout comme la flamme qui est d’autant plus intense si elle ne se disperse pas.  Les flammes d’une fantaisie s’éteignent sous peu, alors que l’assentiment de l’Esprit ne cesse d’attiser. L’ardeur rassasie alors que la tiédeur écœure et fait vomir ce qui est dégoutant. Le chaud et le froid nous laissent discerner le chemin qui est nôtre.

Les jeunes font face à d’innombrables possibilités, et finissent par choisir et métier et compagne. Pour les gens âgés, par contre, le champ des choix se rétrécit. Les jeunes rêvent de leur avenir et se mettent à décider; les vieux de leur part revoient leur vie et se félicitent de ce qui y était juste. Ils se mettent à construire leur vie, non pas par le travail mais par l’appréciation. Ils commencent à rendre grâce pour les bonheurs de leur vie et ‘vomissent’ ce qui en est inadmissible. Ils y apportent la douceur du jugement divin.  Alors que les facultés temporelles s’éteignent, leur avenir éternel leur redonne l’espoir. L’âge n’enlève pas le choix. Au contraire, nous pouvons choisir notre vie plus intensément, et nous la précisons.  La méditation sur ce chakra est valable pour tous, jeunes et vieux, à tout moment.

Cette méditation est offerte aussi à ceux qui se sentent profondément frustrés du fait d’être empêchés par les circonstances de s’engager activement. Ils se sentent enfermés, mais l’esprit reste libre. Souhait ne signifie pas réussite. Le feu brule d’autant plus vivement en eux ; ils sont purifiés comme l’or dans ‘le creuset de l’humiliation’.

Je me sensibilise à ce chakra. En le regardant avec bienveillance, je l’accepte, je l’affirme et je l’habilite. Je cesse de refuser cette partie du corps qui pourrait sembler trop lié à la fonction très physique de la digestion. Je ne refuse pas ma corporalité.

En affirmant ce chakra nous affirmons aussi tout ce qui y est associé. Le rapport que nous avons à la nourriture manifeste notre rapport à la vie. En refusant de jouir des plaisirs de la table, nous refusons les joies du ciel. « Le Seigneur, le tout-puissant, va donner sur cette montagne un festin pour tous les peuples, un festin de viandes grasses et de vins » (Is 25,6).

Le milieu social qui valorise le travail ‘de la tête’ se détourne avec embarras de la matérialité de l’estomac, mais en revanche il ne cesse de consommer les biens de la terre.  L’esprit de consommation va de pair avec l’incapacité de se s’engager. Il se détourne des faims du monde: de la disette, de l’ignorance, et du désespoir qui accablent l’humanité. Il cherche mais rien ne lui satisfait. Il croit qu’en consommant d’avantage il trouvera ce qui plait vraiment. Le monde consommateur et un monde ‘vomisseur’, un monde de déchets.

Je me rends compte du vide qui m’a envahi. Je me rends compte à quel point je n’ai pas trouvé la nourriture qui donne la vie en abondance, la vie terrestre aussi bien que la vie immortelle. C’est pourquoi Jésus se présente comme nourriture : il veut remplir ce vide. Il veut m’assouvir, et devenir pour moi le pain de la vie éternelle. Tel est le point de vue chrétien. Ce n’est qu’en ‘dévorant’ sa personne que je peux remplir ce vide.

Je me rends compte de ma solitude, car tout engagement en fin de cause est envers une personne. Jésus veut habiter cette solitude pour que je m’engage envers lui. Et en communiant avec lui je communie avec Celui qui l’a envoyé; je suis nourri par Dieu lui-même.

Mais quand j’ai trouvé ce qui donne la joie au cœur, je sais me passer les autres nourritures. Cette joie, appréciée encore davantage pendant la méditation, se revêt de simplicité et de renoncement. J’ai trouvé « le trésor caché dans un champ … la perle de grand prix » de sorte que je peux ‘vendre’ tout ce que je possède (Mt 13,44-45).

Je savoure aussi les valeurs de mon destin. J’apprécie mon instinct, j’y prends plaisir. Le regard que j’y jette n’est pas sec et dur mais satisfaisant et joyeux.

Le feu de l’Esprit nous fait dire «Jésus est Seigneur» (1Co 12.3). Et Il nous fait ‘digérer’ le Christ de sorte que son corps devienne notre corps, que notre corps devienne son corps, que nous ne faisions qu’un seul corps. C’est l’incorporation. En le recevant en nourriture eucharistique, l’estomac devient comme le tabernacle. Le corps devient le Temple où le Saint de Dieu aime se recueillir. Il est chez soi. C’est pour cela qu’il est venu sur terre, pour venir habiter nos corps.

Lorsque saint Jean se repose sur le cœur de Jésus, c’est justement l’instant même où Jésus et Judasse nourrissent du même plat. C’est comme si Jésus recevait dans son corps même la trahison de Judas qui de sa part abjurait la fidélité de son maitre. C’est comme si fidélité et trahison sont mélangés dans le même plat. Plus tard, dans le jardin Jésus acceptera de boire de la coupe où sont mélangées souffrance et obéissance au Père qui l’aime infiniment.

En me concentrant sur ce chakra il se peut aussi que je confronte les peurs, les doutes, et les faiblesses. Je commence à me rendre compte de mon manque de courage, la faiblesse de mes engagements, l’énormité de mes doutes. C’est bien ainsi, car ce chakra commence à se purger.

Les sentiments de courage et peur se font sentir dans l’abdomen, ce lieu si sensible du corps. Il se fait parfois lorsqu’on a très peur que les intestins se vident soudainement. L’inquiétude et l’angoisse peuvent même provoquer des ulcères à l’estomac. Au moment de détresse on se courbe pour protéger l’estomac. Par contre, le courage se fait sentir dans la fermeté de l’estomac, comme chez les soldats et les boxeurs au moment du combat.

Jésus est cloué, mains et pieds, à la croix ; son abdomen est mis à nu. Il est complètement vulnérable et sans défense. De fait, un des tourments de la croix était de donner le condamné comme proie aux chiens et aux corbeaux.

Tout désir sera mis à l’épreuve.  Ce qui vient du fond de mon être et du tréfonds de Dieu, révélé par le Christ et inspiré par l’Esprit, accueilli par les anges et les mondes, sera testé. D’où viendra cette épreuve ? Est-ce les parents, les amis, les proches ou le grand public qui méprisent ce qui me semble juste et nécessaire. Peut-être s’opposent-ils à ce qui me définit, à ce qui me façonne le caractère, au chemin qui est mien dans cette montée le long des chakras. Est-ce tout simplement leur indifférence qui m’accable?

Ce refus de leur part est un avantage car il m’aide à discerner, parmi les fausses pistes,  ce qui est la bonne voie. Il m’aide à distinguer d’une part ce qui est une fantaisie, ce que je n’ai pas choisi de tout mon être, et de l’autre part ce qui me donne vigueur, ce sans lequel je ne saurais vivre. C’est alors que, dans la paix, que je perçois le chemin qui est à la fois le projet divin et mon désir personnel. Le creuset de l’épreuve me purifie de tout ce qui pourrait empêcher la montée de l’Esprit.

La tendance est en quelque sorte une limitation ; il est aussi un rayonnement, car ses ramifications touchent à tout. J’ai le sentiment de toucher à l’universel en me concentrant sur le particulier. Le penchant n’est pas un bornage mais une concentration. Il est le ‘joyau’ qui se trouve au nombril, le maṇipūra, la ‘profusion de gemmes’ d’où rayonnent les 72,000 canaux.

En méditant sur ce chakra, une clarté nouvelle se manifeste en moi. Le chemin à parcourir devient plus évident ; la vocation devient plus intense. La fermeté de l’Esprit se révèle. Je me sens plus solide encore que le rocher que j’imaginais en méditant sur le premier chakra. Les eaux coulent plus fort parce ils ne s’écoulent pas. Je me sens bien en moi-même, car je sais ce que je suis vraiment. L’approbation personnelle se double de l’approbation divine et de tous ceux qui se mettent à s’engager, eux aussi, dans leurs voies personnelles. Je me sens davantage animé. Le feu monte librement et sans obstacle dans l’air du quatrième chakra.

b.       par l’imaginaire

La couleur de ce chakra est le rouge, la couleur du feu et du sang, du vin et de l’amour, des règles et du danger. J’imagine le ventre adopter toutes les qualités de cette couleur, car l’imagination concrétise les sentiments. Je vois le sang couler de cette partie si vulnérable du corps. Je peux m’imaginer verser le sang pour les autres, car tout engagement implique le sang.  Je m’imagine comme purifié dans le creuset de la souffrance et comme transfiguré par le feu.

Si les artistes utilisent le bleu surtout pour les vêtements de Marie, pourJésus c’est le rouge, comme si ses vêtementsétaient déjà entachés de son sang. Dans mon imagination, je peux m’imaginer être venu « de la grande épreuve » et d’avoir blanchi mes vêtements « dans le sang de l’agneau » (Ap 7,14).

c.       par le souffle

Il est beau de voir l’abdomen du bébé endormi se gonfler et se rétrécir tout doucement. Ce mouvement illustre la façon de respirer qu’il faut adopter pendant la méditation. La respiration doit se faire non pas avec le thorax mais avec l’abdomen, car les effets sont différents. La respiration par le thorax se fait aux moments d’activité et d’effort, ou bien quand on est nerveux ou énervé. Par contre la respiration par l’abdomen rend l’esprit tranquille et apaise le mental.

Je peux, s’il me semble bon, concentrer l’attention tout simplement sur l’abdomen et en percevoir le mouvement naturel, sans plus. Je peux aussi aller plus loin, car le souffle est le symbole naturel de l’Esprit. En me concentrant sur l’haleine je commence à percevoir l’Esprit plus clairement.

L’Esprit Saint se fait entendre pour la première fois le jour de la Pentecôte lorsque les disciples réunis entendent « le souffle d’un violent coup de vent … alors leur apparurent comme des langues de feu qui se partageaient et il s’en posa sur chacun d’eux » (Ac 2,2-3). Selon ce texte, le souffle et le feu sont étroitement liés. Tout comme le forgeron qui ranime le feu avec le soufflet, je fixe mon attention sur le chakra pour y introduire en toute tranquillité et confiance le souffle de l’Esprit Saint.  Le feu que le Christ est venu verser sur la terre et qui est versé maintenant dans mon corps et dans ce chakra commence à flamber. Par le souffle de l’Esprit on attise le feu de l’Esprit.

L’Esprit du feu et du vent brule tout ce qui obstrue le chemin. Ce qui me paraissait cher mais qui me retenait, et toutes les attaches qui me paralysaient sont consumés par le feu. Je sens alors un soulagement, une liberté accrue. Le souffle ardent fait double effet, d’enflammer et d’éliminer, de rendre plus clair et de chasser la peur. C’est un début de transfiguration dans la gloire.

d. par le mantra

Selon la tradition hindoue tous les phonèmes du Sanskrit, et on pourrait dire les sons de toutes les langues, proviennent de la Parole suprême, le praṇava,AUṀ. La tradition chrétienne, de sa part, reconnait que tous les phonèmes et tous les mots proviennent du Verbe qui se tient en la présence de Dieu (Jn 1,1), qui se réjouit de la plénitude de la divinité (Col 1,19) et qui s’est fait chair (Jn 1,14). Notons que le mot ‘chair’ inclue toute la réalité créée. Selon la tradition chrétienne le Verbe constitue le fondement même de RAṀ, l’aspect sonore de ce chakra. En le récitant on ne se sépare pas du Verbe ; tout au contraire on s’y identifie.  L’évangile de S. Jean proclame: “Au commencement était le Verbe, et le Verbe était tourné vers Dieu, et le Verbe était Dieu. Il était au commencement tourné vers Dieu. Tout fut par lui, et rien de ce qui fut, ne fut sans lui.” (Jn 1:1-3) Le Verbe est donc la source de tout, et partant de tous les sons. Il s’ensuit qu’en appréciant la valeur d’une parole humaine, par la lucidité de la foi, on aperçoit la Parole qui se tient à son origine. Également, en appréciant l’ampleur de la Parole on entend toutes les paroles, tout comme « à ta lumière nous voyons la lumière”(Ps. 36 :10). Il y a distinction et non pas opposition entre le mantra audible et le Mantra qu’est le Christ. L’un informe l’autre.

Il se peut qu’un vocable de l’Écriture Sainte me touche de plus près que RAṀ. Aussi faut-il se servir ce qui touche au cœur, car c’est l’Esprit qui me suggère le mantra qui me convient. Par exemple,  ‘oui’, ‘amen’, ‘fiat’, ‘Je goûte et je vois comme est bon le Seigneur’ (cf. Ps 33).

La récitation du mantra trouve son origine dans l’abdomen. Les chanteurs s’entrainent à chanter ‘de l’estomac’. Même s’il est prononcé par les cordes vocales, c’est de l’abdomen que le mantra commence son cours.  On commencera la récitation par un acte de la volonté, mais ce n’est alors qu’un entrainement. Le mantra sera bien récité une fois qu’il surgit spontanément, c’est-à-dire quand il est inspiré par une ‘force’ qui nous dépasse, par cet Esprit qui vient d’en haut et qui vient du plus bas, cet Esprit qui connaît les profondeurs de Dieu tout comme il connaît les profondeurs de l’homme (cf. 1 Cor 2, 10-11).

Il se peut, pendant la méditation, qu’un grognement se fasse entendre à la suite d’une émotion intense. Il fait écho au grognement de l’Esprit d’où nait le monde nouveau (Rm 8,22).

En même temps j’applique le phonème – que ce soit RAṀou un autre mantra inspiré – à ce chakra. C’est comme si j’adressais le chakra par le vocable qui lui convient, qu’il reconnaît, qui lui est propre. De cette façon je le reconnais, je le stimule, je le rends réel, je le confirme, je le bénis. Je fais de même pour toutes les valeurs qui y sont associées, c’est-à-dire le courage, l’élan, l’éveil, le ravitaillement.

Le Verbe se manifeste en moi par le mantra qui est mien. Je confie au chakra toute la puissance du Verbe. C’est comme si le Verbe s’incarnait de nouveau dans mes entrailles.  Toutes les énergies du Verbe infini et incarné s’y repèrent. Tous les aspects de ce chakra acquièrent la compétence du Verbe.

 

3. Bénédictions

a.       du prochain

C’est dans ce chakra surtout qu’on ressent la compassion et la pitié. Pour apaiser l’enfant blessé la mère le prend sur les genoux et le presse au ventre ; elle le console et lui donne courage dans l’épreuve.

Jésus est pris de pitié pour les foules, « parce qu’elles étaient harassées et prostrées » (Mt 9.36). Le texte grecque dit littéralement qu’il il fut ému « jusqu’aux entrailles » (ἐσπλαγχνίσθη). Il ressent leur faiblesse et se met à les soulager en les enseignant. C’est peu après qu’il va les nourrir en multipliant les pains, en préfiguration à la fois de l’eucharistie et du banquet céleste.

Sensibilisé par ce chakra situé aux les entrailles, je suis sensible aux autres, accueillant et compatissant. Je ne me protège pas des chagrins des autres en me durcissant l’esprit, en me réfugiant derrière un masque, en élevant des murs. Je fais preuve de la souplesse de la clémence.

Mon aspiration se fait jour, une aspiration entièrement libre et entièrement conforme au dessein divin. Elle n’est pas solitaire, pour mon avantage seulement, mais une aspiration utile pour autrui, car l’aspiration vraiment humaine se revêt toujours d’un aspect interpersonnel. Le besoin égoïste finit par nous affaiblir et dégouter, mais le désir généreux se refait constamment car il présente toujours de nouvelles raisons de le faire.

Toute destinée se fait dans le contexte de la liberté personnelle et de la liberté de l’autre. Elle est collective, et s’affermit dans le contexte de ceux aussi qui connaissent leur destin. L’affirmation du destin individuel invite l’autre à affirmer son destin.

Les paroles du Seigneur et l’enseignement de l’Église indiquent le destin chrétien en général mais chaque individu doit discerner son destin personnel. La vocation personnelle se situe, tout comme l’individu lui-même, dans la communauté, car la vocation personnelle n’est pas solipsiste. Si tous les membres sont conscients de leur charisme personnel, chaque membre sera plus apte à discerner le sien propre. Le charisme est découvert plus lucidement dans la méditation sur ce chakra.

Cette affirmation des autres est miroitée, car j’ai le sentiment d’être reconnu, voulu et choisi de leur part. Et cela non seulement avec les ‘gens bien’, les vertueux, les pieux, mais tout genre de personnes, à l’imitation de Jésus qui se fait l’ami des prostituées et des pécheurs. Je reçois de leur amitié tout comme ils reconnaissent mon affection. De cette façon nous sommes nourriture, les uns pour les autres. Cette réciprocité ouvre le chemin de l’amour.

Je me rends compte des désirs de mes prochains, de leurs capacités et de leurs vœux. Je contemple la richesse de ce monde où les différentes ‘espèces’ continuent de se manifester, non plus végétales ou animales mais humaines, la grande mosaïque de l’humanité.  Tous différents, les hommes esquissent une scène magnifique, comme ces multiples rayons dans lesquels, selon Ézéchiel, Dieu se révèle.  « Puis je vis comme l’étincellement du vermeil, comme l’aspect d’un feu … d’une clarté… de l’arc qui est dans la nuée un jour de pluie: C’était l’aspect, la ressemblance de la gloire de YHVH » (Ez 1,27-28). Les portes de la nouvelle Jérusalem sont des perles, et ses fondations des pierres précieuses, dont les éclats reluisent de toutes parts. La Ville Sainte est le maṇipūracéleste.

La kuṇḍalinī n’est pas l’Esprit Saint. Il faut insister : la kuṇḍalinīet l’Esprit Saint ne sont pas identiques de même que la ruah’ que Dieu insuffle (Gn 2 : 7) et l’Esprit Saint ne sont pas absolument identiques. Néanmoins, l’Esprit selon une tradition est présent au début de la création. Si l’Esprit est la source de toutes les formes de vie (Ps 104:30), l’Esprit est déversé totalement dans le paradoxe de la vie et de la mort, dans le mystère pascal. Si la kuṇḍalinīest la manifestation de l’Esprit dans le corps vivant, kuṇḍalinīest pleinement présente chez ceux qui sont morts et ressuscités avec le Christ (cf. I Cor 8:11). C’est pourquoi le Christ imite le geste de Dieu quand il souffle sur les disciples et leur dit «Recevez l’Esprit Saint ».  Le mot ‘esprit’, chose humaine, reçoit une majuscule et désigne alors la Troisième Personne.

Nous travaillons tous ensemble. Les différentes capacités se complémentent. C’est l’Esprit, la kuṇḍalinī divine, qui les inspire.  S. Paul l’a dit. « Il y a diversité de dons de la grâce, mais c’est le même Esprit ; diversité de ministères, mais c’est le même Seigneur ; diversité de modes d’action, mais c’est le même Dieu qui, en tous, met tout en œuvre. A chacun est donnée la manifestation de l’Esprit en vue du bien de tous » (I Cor 12:4-7). Parmi ces dons se trouvent les dons de guérison, de miracles, de prophétie, de discernement et autres mentionnés par S. Paul (I Cor 12 : 9-10) mais aussi les ‘gemmes’ qui se trouvent dans ce chakra.

Le jour de la Pentecôte « leur apparurent des langues de feu qui se partageaient et il s’en posa sur chacun d’eux. » Il y a analogie entre les flammes (les charismes) et l’étincellement des gemmes (maṇi). Le charisme vient d’en haut mais elle se manifeste dans le corps entier et en ce chakra surtout.

Le chemin à parcourir est particulier mais il cesse d’être limité. Il cesse d’être seulement un fait ; il devient un symbole, car il contient toutes les richesses manifestées d’une façon particulière. Le particulier devient universel. Comme les 72,000 canaux qui se propagent dans toutes les parties du corps et dans tous les corps. Le symbole irradie dans tous les sens pour y apporter son énergie, mais aussi pour accumuler toutes les richesses du monde.

Je m’enflamme et j’enflamme mon prochain. Je ressens la chaleur de mon choix, et son ardeur se communique et rend plus facile l’engagement des autres. L’ardeur anime ; la froideur démoralise.

Ainsi le chrétien qui réfléchit sur la ferveur du Christ et son zèle se sent avivé et encouragé, surtout devant les épreuves. Jésus est venu répandre le feu sur la terre, et moi aussi je me sens poussé à verser le feu sur le monde, le feu qui flambe parce que rien ne l’empêche. La confiance tranquille et éveillée de l’un rassure l’autre.

Au feu du Christ, le chrétien ajoute son propre feu, de même que St Paul fait valoir la passion du Christ quand il dit « Je trouve maintenant ma joie dans les souffrances que j’endure pour vous, et ce qui manque aux détresses du Christ, je l’achève dans ma chair en faveur de son corps qui est l’Église » (Col 1,24). Jésus lui-même promet que « celui qui croit en moi fera lui aussi les œuvres que je fais: il en fera même de plus grandes, parce que je vais au Père » (Jn 14.12), c’est-à-dire que de Dieu il enverra « une puissance, celle du Saint Esprit » (Ac 1,8).

Mon avenir se fait dans le feu. C’est pourquoi il devient un holocauste. Jésus reste fidèle au Père, au Peuple, à ses disciples qui le trahissent, le renient et l’abandonnent. Malgré l’épreuve épouvantable de la croix il ne cesse de témoigner, d’être martyre de la vérité qu’il est venu révéler au Peuple de Dieu et à tous les hommes, lui qui est la Vérité. Il est résolu. Il est l’holocauste qui apportera la bénédiction divine au monde entier et à tous les siècles. De même, et par la force de cette bénédiction, le chrétien s’apprête à s’offrir comme bénédiction universelle. Par cet holocauste accompagné par la force qui vient d’en haut, il perçoit la toute-puissance de la Présence divine. Il devient nourriture.

Par la méditation sur ce chakra, je me rends compte que je suis nourriture, car l’éveil la résolution, et la générosité qui se manifestent dans mon corps sont pour les autres source de vie. La nourriture que j’offre aux autres par l’acte même de méditer sur ce chakra fait que les autres aussi deviendront une nourriture pour moi aussi. Les chrétiens se nourrissent non seulement du Christ mais se nourrissent aussi l’un de l’autre. C’est une provende sans arrêt, tout comme l’eau que Jésus donna à la Samaritaine deviendra en elle une fontaine inépuisable. L’alimentation ne cesse jamais ; il s’accroit sans arrêt. C’est le banquet éternel.

Je me rends compte d’un éclaircissement, car ce chakra comporte son propre éveil. Je sais ce que je veux faire ; la porte s’ouvre devant moi et je m’y enfonce pour parcourir mon chemin. Sans cela, la montée sera bloquée. C’est dans la joie que je me mets sur le chemin, car clarté et joie s’impliquent. J’ai un sentiment de valeur, capable de faire du bien, de créer, de faire fructifier.

Cette clarté est un don divin et me fait voir la créativité et la générosité de Dieu. Je ne suis plus esclave, forcé à faire ceux que les autres m’imposent. Il y a un sentiment de liberté. Je me sens utile,  je me sens divin. Le corps ressent cette joie qui me met en rapport avec le monde, le ciel, et toute l’humanité.

b. de Dieu

Cette montée jaillit des profondeurs, comme on a vu. En assentissant à son élan, surtout en méditant sur ce chakra, j’obéis à la volonté du Dieu caché qui se manifeste dans le secret de mon être. En reconnaissant que c’est Dieu en premier et mon désir le plus personnel en second, je le reconnais comme Seigneur. Cette obéissance n’est pas une servilité. Au contraire je la ressens comme une libération. Je me laisse prendre et m’en réjouis. Je ressens en moi-même Celui qui tout d’abord a choisi la voie qui est mienne. Ce sentiment fait bondir le cœur. Il est une louange par laquelle je reconnais Celui qui m’a élu et qui a fixé mon destin.  Ma louange n’est pas une litanie de mots sans valeur ; elle surgit de mon être, de mes os pour ainsi dire. Dans cet attrait je reconnais Celui qui a appelé les Israelites et a conclu l’alliance avec eux par le sang de sorte qu’ils deviennent le Peuple Élu.  Il les a élus non pas en exclusivité mais pour en faire un signe de l’élection qu’Il conclut avec chaque personne qui se dispose, par sa grâce, à recevoir cette élection. Ils deviennent signe et symbole. La révélation de mon destin en mon propre soi est en même temps la révélation de Dieu en lui-même. Sa présence devient plus évidente alors même que ma vocation devient plus assurée. La connaissance joyeusement admise de cette présence est une bénédiction de Dieu, car je reconnais sa bonté.  Je désire mais je me rends compte que c’est Lui qui d’une façon suréminente, a désiré. Parce qu’Il s’est tourné envers moi je sais me tourner vers les autres. Il est le fondement de mon orientation. Et je m’en réjouis.  Ce que Dieu fait dans le désert, Jésus accomplit à la dernière Cène, car il dit à ses apôtres « Ce n’est pas vous qui m’avez choisi, c’est moi qui vous ai choisis et institués pour que vous alliez, que vous portiez du fruit et que votre fruit demeure » (Jn 15:16). Mon orientation vers le bien est un de ces fruits. Les sacrifices d’Abel et de Noé, tout comme l’encens du Temple, plaisent à Dieu. C’est comme si Dieu lui-même est nourri par les offrandes externes. Mais l’obéissance dans le corps les dépasse. Faite dans l’Esprit de Dieu, l’obéissance plait à Dieu et fait voir que Dieu est Dieu. C’est pourquoi « en entrant dans le monde, le Christ dit: De sacrifice et d’offrande, tu n’as pas voulu, Mais tu m’as façonné un corps. … Alors j’ai dit: Me voici, car c’est bien de moi qu’il est écrit dans le rouleau du livre: Je suis venu, ô Dieu, pour faire ta volonté » (He 10: 5, 7). Dieu est béni par l’obéissance de Jésus qui par-là est également le sauveur du monde. La bénédiction de Dieu et la bénédiction des hommes s’impliquent.Jésus obéit à la volonté divine. Jésus, comme les flammes du sacrifice, quitte cette terre, monte au ciel et s’assied à la droite du Père. De même le méditant assis sur la terre ressent la montée de l’Esprit, s’y identifie et monte avec lui pour se trouver d’une façon jadis inimaginable uni au Tout-Puissant et Tout-Conscient. Les eaux qui coulaient dans le deuxième chakra se transforment en feu. De cette façon la montée de la kuṇḍalinīdivine poursuit encore plus intensément son cours au ciel.   Ce feu se lance dans le quatrième chakra dont l’élément est l’air. L’attirance devient plus intense, plus satisfaisante, plus ample. Le cœur s’élargit ; les contraintes disparaissent. La valeur de la vocation devient plus évidente; la destinée plus assurée. Cet élargissement de la conscience, cette détente, cette ouverture du corps et de l’âme sont ressentis même physiquement. Le corps se trouve transfiguré par ce feu du cœur. On devient d’avantage le feu de l’Esprit.

Chez le chrétien où l’Esprit est venu habiter, tous les aspects de son être sont inspirés, non pas remplacés. Ils acquièrent une richesse auparavant inimaginable. Les mots humains sont transfigurés par le Verbe et en acquièrent la puissance.  De même, le souffle du chrétien est transformé par l’Esprit et en acquiert la souplesse et la grâce.  En se concentrant sur le souffle humain il aperçoit le Souffle divin. En se concentrant sur la kuṇḍalinī, il perçoit l’Esprit vivifiant. On distingue entre le visible et l’invisible ; on ne les oppose pas. L‘un se manifeste dans l’autre ; l’un conduit à l’autre ; l’un éveille l’autre. La kuṇḍalinī humaine animée par l’Esprit divin nous fait lire le texte biblique autrement et nous laisse comprendre plus clairement la personne de l’Esprit.

 

IV      SUR CE QUI N’A PAS ÉTÉ FRAPPÉ (anāhata)

1. Appuis

a.       Le traité Ṣaṭcakranirūpaṇa

Le mot anāhata signifie, ‘ce qui n’a pas été frappé’, comme le son qui sortirait spontanément d’un tambour sans qu’on ne le frappe.  Ce chakra ressemble donc au son primordial, AUṀ, qui se manifeste sans aucune raison, en toute liberté, sans cause.

Ce lotus est situé dans la région du cœur. C’est comme si l’univers provenait du cœur et que le cœur constituait l’essence de tout ce qui existe. Les résonances de cette idée sont innombrables.

Les chakras 1, 3, 5, 6, présentent un triangle tourné vers le bas. Le quatrième chakra, celui du cœur est le seul à présenter deux triangles superposés, l’un tourné vers le bas, l’autre tourné vers le haut, une étoile à six pointes. Les tantras y voient la conjonction du masculin (le triangle tourné vers le haut) et du féminin (le triangle tourné vers le bas), l’union du dieu et de la déesse.

Cette forme est richement développée dans le yantra– le Śrīcakra – de la tradition Śrī Vidyā. Ce yantra ou diagramme présente neuf triangles de taille différente enchevêtrés, quatre tournés vers le haut, et cinq tournés vers le bas, qui irradient d’un seul point. Il représente l’émanation de l’univers de l’union amoureuse du dieu et de la déesse, de même que la résorption de l’univers dans son origine divine.

Le Ṣaṭ-cakra-nirūpaṇa décrit les six lotus qui culminent au lotus de mille pétales, au sommet de la tête. Pris tous ensemble, le lotus du cœur en occupe le centre, comme s’il les rassemblait tous. Des textes disent que c’est du cœur plutôt que du nombril que les 72,000 canaux rayonnent.

Lilian Silburn remarque que « Bien que la kuṇḍalinī puisse s’éveiller à partir de n’importe quel centre puisqu’elle réside également en tous, c’est du cœur qu’elle s’ébranle de préférence» (La Kuṇḍalinī p. 46). Pour cette raison, bien que notre interprétation de chakras, suivant le Ṣaṭ-cakra-nirūpaṇa, commence par le mūlādhāra, le méditant peut s’appuyer sur n’importe quel chakra, et surtout sur le cœur.

On a vu que l’élément du maṇipūraest le feu.  L’élément deanāhataest l’air.

Sa couleur est le gris, plus précisément la couleur de la fumée dont le feu est la source. Le gris de la fumée est comme la couleur visible de l’air. Les offrandes jetées dans le feu se transforment en fumée qui monte dans le ciel. C’est comme si elles s’échappaient de cette terre pour se lancer vers le ciel.

Le Ṣaṭ-cakra-nirūpaṇa note que ce lotus est comme l’arbre céleste qui accorde plus qu’on lui demande. Tous les désirs du cœur, et bien plus,  sont assouvis pour ceux qui méditent sur ce chakra. Ils deviennent seigneurs de la Parole.  Du fait qu’ils méditent sur le son qui surgit spontanément du silence infini la capacité ils acquièrent une maitrise parfaite du langage.

Dans ce chakra il y a douze consonnes inscrites sur douze pétales. Le nombre toujours plus grand signifie la croissance continuelle de la kuṇḍalinī ascendante.

La semi-voyelle est le YAṂ qui est prononcée près du fond de la gorge. Il sera dépassé par le vocable du cinquième lotus, HAṂ, qui provient du fond même de la gorge. Les semi-voyelles LAṂ, VAṂ, RAṂ, sontprononcées au-devant de la bouche et sont donc plus éloignées des origines. Cela signifie que la montée de la kuṇḍalinīau long du canal central est un retour à la source.

b. La Bible

Sans qu’on lui demande, Dieu dit: «Que la lumière soit»! Et la lumière fut. » (Gn1 :3) De même, tout subitement « Le Seigneur dit à Abram: «Pars de ton pays. » (Gn 12 :1) Et dans le Nouveau Testament Jésus, de son propre chef, appelle ses premiers disciples «Venez à ma suite, et je ferai de vous des pêcheurs d’hommes». (Mc 1 :17). C’est parce que la parole divine est essentiellement anāhata, spontanée et généreuse.

En français le « cœur » désigne plutôt les émotions et la vie affective. En hébreux le cœur a un sens plus large, et il signifie les sentiments, les pensées, les souvenirs, les projets, la conscience,  en somme toute la personnalité, tout ce qui trouve en l’homme.

Le mot désigne aussi ce qui se trouve en Dieu. « Le plan de YHVH subsiste toujours, et les desseins de son cœur, d’âge en âge. » (Ps 33 :11) Il commande à son Peuple la même pureté de cœur. « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de tout ton être, de toute ta force. » (Dt 6 :5)

Malheureusement, l’homme est capable d’hypocrisie et de duplicité. L’attitude intérieure peut se manifester par les actes et les paroles ; elle peut également se dissimuler par ces mêmes moyens. Mais Dieu ne se laisse pas tromper. « Le Seigneur dit: Ce peuple ne s’approche de moi qu’en paroles, ses lèvres seules me rendent gloire, mais son cœur est loin de moi. La crainte qu’il me témoigne n’est que précepte humain, leçon apprise. » (Es 29:13)

La religion purement extérieure est insupportable. Face au refus du Peuple de suivre ses commandements, Dieu doit leur « déchirer le cœur »(Jl 2 :13) mais nonpas les détruire. A cette seule pensée YHVH s’exclame  « Comment te traiterai-je, Éphraïm, te livrerai-je, Israël? … Mon cœur est bouleversé en moi, en même temps ma pitié s’est émue. » (Os 11 :8)

Il punit son Peuple pour qu’il se convertisse et qu’il prie « Crée pour moi un cœur pur, Dieu; enracine en moi un esprit tout neuf. » (Ps 51 :12) Alors il leur donnera un cœur nouveau. « Je ferai sur vous une aspersion d’eau pure et vous serez purs; je vous purifierai de toutes vos impuretés et de toutes vos idoles. Je vous donnerai un cœur neuf et je mettrai en vous un esprit neuf; j’enlèverai de votre corps le cœur de pierre et je vous donnerai un cœur de chair. » (Ez 36 :25-26) Il proclame, « Je mettrai ma Loi au fond de leur être et je l’écrirai sur leur cœur.  Alors je serai leur Dieu et eux seront mon peuple. »  (Jr 31:33).

Jésus Christ reprend ces thèmes. Il reprend le commandement principal : «Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de toute ta pensée» (Mt 22 :37) et il le complète : « Un second est aussi important: Tu aimeras ton prochain comme toi-même. » (Mt 22 :39)

Il rejette l’hypocrisie de ses contemporains,  la pureté extérieure, et déclare que l’impureté véritable est celle qui vient du cœur, «Hypocrites! Isaïe a bien prophétisé à votre sujet, quand il a dit: Ce peuple m’honore des lèvres, mais son cœur est loin de moi. » (Mt 15 :7-8)

Il insiste sur la générosité intérieure. Chacun doit pardonner son frère sans fin « C’est ainsi que mon Père céleste vous traitera, si chacun de vous ne pardonne pas à son frère du fond du cœur » (Mt 18 :35) car c’est aux purs de cœur qu’est promise la vision de Dieu. (Mt 5 :8)

Lors du voyage à Emmaüs Jésus fait bruler le cœur des disciples lorsqu’il leur explique le sens de sa passion. « Et ils se dirent l’un à l’autre: «Notre cœur ne brûlait-il pas en nous tandis qu’il nous parlait en chemin et nous ouvrait les Écritures»? (Lc 24 :32)

C’est dans le cœur que se passe le renouvellement. « Si, de ta bouche, tu confesses que Jésus est Seigneur et si, dans ton cœur, tu crois que Dieu l’a ressuscité des morts, tu seras sauvé. »(Rm 10 :9ss)

C’est par cette même foi que le Christ habite le cœur, « qu’il fasse habiter le Christ en vos cœurs par la foi; enracinés et fondés dans l’amour » (Ep 3 :17) et c’est dans le cœur que l’Esprit de Dieu est déversé.« Fils, vous l’êtes bien: Dieu a envoyé dans nos cœurs l’Esprit de son Fils, qui crie: Abba, Père! » (Ga 4 :6)

Tout cela est possible puisque c’est Jésus qui se trouve le plus près de cœur de Père et qui le fait connaître. « Personne n’a jamais vu Dieu; Dieu Fils unique, qui est dans le sein du Père, nous l’a dévoilé. » (Jn 1 :18)

C’est sur ce cœur que le disciple bien-aimé se repose à la dernière cène, ce cœur qu’il verra percé par la lance, ce cœur d’où il verra couler l’eau et le sang (Jn19 :34), ce cœur qui est le centre aimant de tous ceux qui croient en lui, qui s’exclame, « Je leur ai fait connaître ton nom et je le leur ferai connaître encore, afin que l’amour dont tu m’as aimé soit en eux, et moi en eux». (Jn17.26)

La fumée occupe une place importante dans la Bible, que ce soit celle des offrandes consumées sur l’autel du Temple ou bien celle de la prière des fidèles qui monte comme la fumée d’encens. « Que ma prière soit l’encens placé devant toi, et mes mains levées l’offrande du soir. » (Ps 141 :2) « Et, de la main de l’ange, la fumée des parfums monta devant Dieu, avec les prières des saints. » (Ap 8 :4) Cette fumée est ambiguë aussi car elle cache et révèle en même temps la présence de Dieu, lors de la consécration du Temple par Salomon (1 R 8 :10) ; elle prépare l’apparition àIsaïe de la cour céleste qui acclame le Seigneur trois fois saint (Isaïe 6:4).

La fumée rappelle aussi le nuage qui accompagne le Peuple au désert, colonne de nuage le jour et colonne de feu la nuit (Ex 13 :21) pour leur indiquer le chemin et leur rappeler la présence du Dieu sauveur.

Le double triangle, qui représente l’union de l’homme et de la femme, ne se trouve pas explicitement comme tel dans la Bible. Mais c’est au couple que Dieu, au premier chapitre de la Bible, confie la gérance de tous les vivants. (Gn 1 :28) Et dans le deuxième récit de la création tout fut fait, plantes et animaux, pour que l’homme finalement s’unisse à sa femme et qu’ils deviennent un seul corps, apogée de l’œuvre créateur de Dieu.  (Gn 2:23-24)

 

2. Approches

a. par le corps

Des profondeurs du premier chakra toute la diversité les eaux, c’est-à-dire toute la variété du monde, s’écoule dans le deuxième chakra, et parmi toutes ces possibilités le méditant se trouve attiré par une possibilité en particulier, une beauté parmi tant de beautés qui touche à l’âme d’une façon plus intense, dans le troisième chakra. Le feu du désir s’embrase et le moment vient de choisir.  Le quatrième chakra concerne plus particulièrement l’engagement.

L’importance de ce chakra et son association avec le cœur se voit bien dans la quantité de phrases qui le concerne, par exemple : ‘crever le cœur’, ‘prendre à cœur’, ‘avoir le cœur gros’, ‘avoir le cœur léger’, ‘avoir mal au cœur’, ‘un cœur de pierre’, ‘cri du cœur’, ‘de tout son cœur’.

Dans le jardin et parmi tous les êtres vivants,  Dieu amène la femme et la présente à l’homme. L’ādām reconnait « cette fois » (Gn 2 :23)celle qu’il peut choisir comme compagne. Quelles étaient les émotions qui le touchaient de si près, et elle aussi sans doute ? Le texte biblique fait preuve de délicatesse à ce sujet. Il nous laisse imaginer tout ce qui se passe entre la rencontre et l’engagement (v. Gn 2:23). Le texte ne dit rien non plus sur ce qui se passe ensuite, et se contente de citer la coutume millénaire « Aussi l’homme laisse-t-il son père et sa mère pour s’attacher à sa femme, et ils deviennent une seule chair. » (Gn 2:24) C’est dans le cœur, pour commencer, qu’il se donne à sa femme. Ils sont unis d’abord par leur présence mutuelle, consommée ensuite par l’union de leurs corps.

Les doutes et les souhaits se manifestent surtout dans le ventre, comme on a vu en parlant du troisième chakra, mais la décision est l’affaire du cœur. Le mot courage provient du mot ‘cœur’. C’est le cœur qui donne le courage, qui fait que le désir devienne décision, que le souhait devienne choix, et que l’élan devienne engagement

L’engagement est l’affaire surtout du cœur. S’il n’est que raisonnable il ressemble à un calcul. L’exclamation d’Adam, ‘cette fois’ n’est pas le prélude à un ‘mariage de raison’. L’engagement fait ‘de tout son cœur’ est comme une extase, où l’on est transporté hors de soi-même, où l’on est plus en charge de soi-même. Quand tout l’être se trouve dans le choix, il ressent satisfaction et authenticité.

En se concentrant sur ce chakra le méditant discerne plus clairement quel est son engagement véritable.  Il écoute son cœur, car la raison est trop limitée pour indiquer le chemin de la vie. « Le cœura ses raisons que la raison ne connaît point ; on le sait en mille choses. » Phrase célèbre de Pascal auquel Raymond Radiguet ajoute « Si le cœura ses raisons que la raison ne connaît pas, c’est que celle-ci est moins raisonnable que notre cœur. » (Le Diable au corps) Ce n’est pas pour dire que le cœurest sentimental, émotionnel, et sans justification. La passion du cœur n’est pas déraisonnable, elle est plus que raisonnable ; elle dépasse la raison et la déconcerte.

Les intentions authentiques se discernent dans le cœur. C’est pourquoi Dieu se plaint de son Peuple.  Même s’il semble observer les ordonnances il est hypocrite car le cœur est éloigné de son Seigneur.

En observant ce chakra, le méditant verra si Dieu pourrait se plaindre de lui, si le cœur est hypocrite. Il se rendra compte de la qualité de son cœur, de sa dureté peut-être, ou bien de sa souplesse, sa chaleur, et sa générosité. Peut-être reconnaitra-t-il qu’il n’aime personne, qu’il est refoulé sur lui-même, que son amour est narcissiste. Il se rendra compte peut-être que personne ne voudrait y poser la tête comme le disciple bien-aimé, pour y gouter l’amour et percevoir cet amour qui vient au-delà de ce monde.  Il se rendra compte peut-être qu’il n’aime personne. Il reconnaitra peut être qu’il veut aimer mais ne sait pas comment, qu’il ne sait pas qui aimer, qu’il n’ose pas aimer. Il verra peut-être qu’il a peur de se voir rejeté, méprisé, dédaigné, car le cœur est vulnérable. Quelle admission affreuse, que de savoir qu’on n’aime personne, que personne ne nous aime. La méditation sur ce chakra est dangereuse et honnête à la fois. Elle blesse et elle guérit ce chakra. Elle empêche que le cœurreste dur et sec, froid et distant.

En reconnaissant ses faiblesses, le méditant pourrait prier que son cœur de pierre soit remplacé par un cœur fait de chair, selon le désir de Dieu annoncé par le prophète Ézéchiel, ce cœur nouveau, sensible, vulnérable, doux, ouvert,  dont parle le prophète Jérémie.

Il se peut aussi, en concentrant sur ce chakra, que le méditant se rende compte de la force de l’amour qui s’y trouve. Il ressentira de nouveau la flamme qui y brule. Il verra de nouveau toutes les personnes, les projets, les rapports et les évènements qui l’ont touché profondément. Il repassera en vue tous les bonheurs de sa vie passée et les espoirs à venir. Car le cœur est un monde.

Ce chakra au centre du corps n’est pas le chakra final, le sahasrāra,qui se trouve au sommet de la tête, mais comme dit Lilian Silburn il contient tout.  Le mot sanskrit pour ‘cœur’signifie l’essence des choses. Le cœurau centre des chakras se présente comme l’essence de tous les chakras. Un chakra sans l’apport du cœursera un chakra vide de sens, limité, faible, et sous-développé. De même, le chakra du cœur dépend des autres chakras. Le chakra central sera bien équilibré s’il provient des profondeurs du premier chakra. Etvice versa, les profondeurs déjà expérimentées pendant la méditation sur le premier chakra s’ouvrent d’avantage, et la coulée d’eau vive devient plus ample à cause de la force de l’engagement.  Le choix fait dans le cœur est enrichi s’il se sent le préféré parmi tous les choix possibles. Ce chakra sera ardent s’il est animé par le feu du troisième chakra ; il ne sera croyable qui s’il se déclare dans le cinquième chakra ; et il aboutira au seizième chakra de l’autorité.  Tout cela pour finir dans le plein épanouissement de sahasrāra.

Le cœurs’épanouit en la présence des autres. Le cœur, comme indique le double triangle, est essentiellement interpersonnel. Le triangle tourné vers le haut symbolise l’homme, celui tournée vers le bas symbolise la femme, mais les deux sont égaux.  L’un ne saurait exister sans l’autre. C’est dans l’amour que le cœuratteint son apogée. Voilà pourquoi le refus provoque une souffrance aiguë et des problèmes même physiques.  Le refus de l’autre nous brise le cœur, et on sent le courage nous manquer.

On se donne à l’autre qui reçoit. Mais qui vient en premier, le don ou l’accueil ?  Le sentiment qu’on sera reçu inspire à faire le don. En faisant le don il y a le sentiment d’être reçu, et celui qui accueille se donne à celui qui fait le don. Donner et recevoir s’impliquent, à tel point qu’on ne sait pas lequel vient en premier. Ils sont complémentaires ; l’un ne peut exister sans l’autre. Les deux triangles son égales et imbriqués l’un dans l’autre. Le méditant ressent un gonflement du cœur et même comme une extase lors de l’éclosion de l’amour. C’est comme un écho de l’amour divin. Si Dieu est amour (1 Jn 4 :8) c’est parce qu’il est communion. Les Trois s’impliquent, unis dans leur amour mutuel. Et l’on sait que le triangle est le symbole géométrique de la Sainte Trinité.

Est-ce que la méditation révèlera aussi que je doute de l’amour de Dieu, de l’amour infini? Dois-je admettre que je ne crois pas vraiment que Jésus est venu répandre son amour.   Est-ce que je refuse l’engagement de l’amour car l’amour demande le sacrifice. La méditation sur ce chakra est révélatrice. Ce n’est pas que j’y passe mon temps à penser et à réfléchir. Au contraire, l’attention est simple et concentrée, même si je me rends compte que ce centre est refoulé, sans largesse, sans chaleur, rétréci.

Il se peut, par contre, qu’en m’aimant par cette méditation je commence à reconnaitre qu’un autre m’aime, et en reconnaissant qu’un autre m’aime, je commence à m’aimer moi-même d’avantage, car l’amour est le fruit de l’amour. Et en m’aimant moi-même je deviens capable d’aimer un autre. Et en aimant un autre je commence à m’aimer véridiquement, et je commence à percevoir Celui qui nous a aimé à tel point qu’Il a envoyé son Fils pour le sacrifier dans l’amour. Le chakra de l’amour fait voir que tout est amour.

En me donnant de tout mon cœurje perçois celui qui se donne sans fin. Le cœurperçoit le Cœurqui se trouve au cœurde tout, au début et à la fin des choses. Car tout – c’est le point de vue chrétienne – commence avec l’amour et fini par l’amour. « Au soir de notre vie, nous serons jugés sur l’amour. » (Jean de la Croix) C’est dans l’amour que Dieu fit le ciel et la terre. Tout vient du Cœur, tout se réabsorbe dans le Cœur.

Le disciple bien-aimé pose la tête contre le cœurde Jésus, comme s’il voulait s’approcher du cœurdu Père et y sentir l’amour éternel. Se posait-il la tête sur le cœur de Jésus pour écouter la voix du Père aussi ? Le chakra est dénommé ‘non-frappé’ parce que le son y surgit spontanément et gratuitement. C’est du cœurdu Père que le Verbe résonne naturellement, sans être obligé, sans être mérité, ce Verbe dont « le langage éclate jusqu’au bout du monde ». (Ps 19:5)

La méditation sur ce chakra fait que tout normalement j’introduis d’avantage dans mes discours ce sentiment d’amour que les gens reconnaissent immédiatement, car le cœur humain est très sensible aux mouvements du cœur humain. Les auditeurs y trouvent la sincérité, l’authenticité, et la vérité. Les cœurs touchent les cœurs. L’homme sans cœur est un être manqué.

Ce cœur est en quelque sorte obscur, car il est trop universel et déroutant pour s’enfermer dans la clarté des idées. Le cœur s’élance comme la fumée dans l’air, libre de circuler par tout. En méditant sur ce chakra je commence à faire d’avantage que de suivre les raisonnements et les projets. Une intelligence supérieure, une folie divine touche au centre de tout, là où Dieu se cache.  Ce chakra est comme la colonne qui accompagnait le Peuple Élu dans ses détours à travers le désert du Sinaï, lueur dans le noir, nuage dans le jour.  « Adieu, dit le renard. Voici mon secret. Il est très simple : on ne voit bien qu’avec le cœur. L’essentiel est invisible pour les yeux. » (Antoine de Saint-Exupéry)

b. par l’imaginaire

J’imagine portrait sacré où Jésus indique son cœur brulant d’amour, son cœur encerclé par la couronne d’épines. Il fait savoir ainsi que son cœur est la source de l’agapê de l’Église, cet amour prêt à se sacrifier pour le bonheur de tous les hommes.

Je peux m’imaginer le cœur fendu par les lances de l’incompréhension humaine et des malheurs de la vie, qui accepte d’être fendu pour que les eaux de la grâce coulent en abondance.

Je pourrais m’imaginer, comme le disciple à la dernière cène, me reposant sur le cœur de Jésus qui révèle le cœur du Père. Également, je pourrais m’imaginer entendre le son ‘non-frappé’ venir de son cœur, l’appel de l’amour qui ne désire rien sauf que je l’écoute.

Oserais-je m’imaginer comme Jésus, prêt à accueillir ceux qui veulent s’approcher de moi et gouter les richesses de l’amour ?  Oserais-je imaginer quelqu’un venir se recueillir sur mon cœur pour y trouver le cœur du Jésus et le cœur du Père ?

Serait-ce trop sentimental de m’imaginer comme la mère et le père qui portent l‘enfant du côté du cœur pour qu’il sente l’amour rayonnant de ce centre, cet amour qui mène au-delà du visible jusqu’à Celui qui dépasse toute connaissance ?

Dieu se révèle dans la nuée du Mont Sinaï et dans la fumée du Temple à Jérusalem. Je pourrais m’imaginer entrer dans l’obscurité merveilleuse de l’amour, dans la nuit où l’amour se fait, sans distractions et sans exigences, dans l’obscurité de Golgotha où « à partir de midi, il y eut des ténèbres sur toute la terre jusqu’à 3 heures » (Mt 27 :45) car c’est ici la nuit obscure de l’amour infini.

c. par le souffle

L’élément de ce chakra est l’air, le quatrième des cinq essences, terre, eau, feu, air, espace. Il y a une parenté profonde entre l’élément de ce chakra et le souffle. De même que j’introduis le mantra du cœur dans le cœur, je j’introduis l’air du cœur dans le cœur. Je finis par remarquer l’air qui s’y trouve déjà, l’air du cœur.

On trouve l’écho de cette pratique dans la méthode d’oraison hésychaste, pratiquée depuis des siècles dans la mystique orthodoxe, qui se résume de cette façon :

« Ensuite, assis dans une cellule tranquille, à l’écart dans un coin, fais ce que je te dis : ferme la porte et élève ton esprit au-dessus de tout objet vain et temporel, ensuite appuyant ta barbe sur la poitrine et tournant l’œil corporel avec tout l’esprit sur le milieu du ventre, autrement dit le nombril, comprime l’aspiration d’air qui passe par les nez de façon à ne pas respirer à l’aise et explore mentalement le dedans des entrailles pour y trouver le lieu du cœur où aime à fréquenter toutes les puissances de l’âme. Dans les débuts tu trouveras ténèbres et épaisseur opiniâtres, mais en persévérant et en pratiquant cette occupation de jour et de nuit, tu trouveras, o merveille ! une félicité sans borne. Sitôt en effet que l’esprit trouve le lieu du cœur, il aperçoit tout à coup ce qu’il n’avait jamais su ; car il aperçoit l’air existant au centre du cœur, et il se voit lui-même tout entier lumineux et plein de discernement ………[43]

Il n’est pas nécessaire de suivre tous les conseils de ce texte. Il suffit « d’explorer mentalement le dedans … pour y trouver le lieu du cœur » et de percevoir « l’air existant au centre du cœur ». Je fais enter le souffle dans le cœur. Je reçois l’air qui s’y trouve déjà. Les deux souffles se reflètent. Complètement détendu, je reçois le souffle qui vient du cœur et qui remplit le corps entier, me rendant « lumineux et plein de discernement».

Ce souffle, cet air, se trouve partout, richement divers. Selon Théophile d’Antioche (+183)

Dieu a donné à la terre le souffle qui la nourrit.

C’est son haleine qui donne vie à toutes choses.

Et s’il retenait son souffle, tous s’anéantiraient.

Ce souffle vibre dans le tien, dans ta voix.

C’est le souffle de Dieu que tu respires,

Et tu ne le sais pas.

En projetant l’air dans ce chakra, je projette aussi ce qui donne la vie à toute chose, le souffle même de Dieu, ce souffle qui unit le ciel et la terre. Le cœur est le chakra central qui réunit tous les chakras. De même façon, l’air qui s’y trouve réunit tous les êtres vivants. Je respire en eux, et eux en moi, le même souffle.

d. par le mantra

Selon la tradition hindoue, comme on a vu, ce monde provient de AUṀ,du ‘son’ qui s’est fait entendre sans être frappé, sans raison, sans nécessitée, surgissant du silence ineffable. Le silence devient le son qui nous ramène au silence. Le son du tambour ou de la cloche dans le rituel arrive tout d’un coup ; les auditeurs l’entendent alors qu’il disparaît, s’évanouissant, de sorte qu’ils sont ravis dans le silence originel.

J’imite cet acte, et du silence j’émets le phonème YAṂ du fond de la gorge qui symbolise la source du son, le tambour originel.

Je projette ce mantra YAṂ. Je pourrais tout autant projeter le mot ou la phrase de l’Écriture Sainte qui me ‘touche au cœur’. Je projette le mantra, quel qu’il soit, en douceur, en bienveillance, comme un mot d’amour, car j’aime ce chakra qui s‘épanouit s’il est aimé et se resserre s’il est exploité. Je le projette non pas comme si le mantra se trouvait en un lieu étrange et hostile, mais comme s’il se retrouvait chez lui, dans sa propre demeure, qui le reconnaît et le reçoit. Je le projette comme s’il provenait de ce chakra dès le début. Ce chakra est le anāhata, le ‘non-frappé’ ; je ne frappe pas ce centre. Au contraire j’introduis le mantra comme la forme audible de ce qui se trouve déjà là.

En ce faisant je commence à percevoir un deuxième mantra qui y résonne. Car le mantra est double : le mantra déjà connu que je projette chez sa propre demeure, et le mantra plus profond éveillé par le premier mantra. C’est ce deuxième mantra qui est le vrai sens du mantra connu, qui est le mantra véridique, que j’écoute maintenant.

J’écoute mon cœur. J’écoute, tout comme le disciple bien-aimé écoute la parole de Jésus, non tellement les mots qu’il prononce, mais la parole au fond de toutes les paroles, lui-même qui est la Parole, lui le Verbe divin. Derrière les mots audibles de Jésus se trouve Jésus, le Verbe, dont ils sont l’expression.

J’écoute la Voix du cœur en silence ; je néglige le fracas de mes pensées. J’ouvre le cœur pour entendre la Voix du cœur qui jaillit de l’Infini.

 

 3. Bénédictions

a. du prochain

Je poursuis mon chemin ‘de bon cœur’, car j’ai trouvé ce qui est conforme à mon destin, à la volonté divine, convenable aussi aux autres, et digne de ce monde. En effet, j’ai la capacité de poursuivre mon chemin, m’en donnant à cœur joie, précisément parce qu’il ne dépend pas de ma volonté seule. Il est indiqué. Je sens même qu’il est commandé par Celui qui dépasse tout. L’engagement est d’abord une vocation.

Mon engagement, quel qu’il soit, peut sembler sans importance, mais il est comparable au geste de la veuve « qui mit deux petites pièces, quelques centimes » (Mc12:42) dans le Trésor du Temple, tout ce qu’elle avait, symbole de tout ce qu’elle était.

« Un cœurn’est juste que s’il bat au rythme des autres cœurs. » (Paul Éluard)En méditant sur ce chakra je trouve ce qui est au cœur de mon être ; je découvre le cœur des autres aussi.  Du fait que je me suis sensibilisé le cœur, sans crainte, sans peur, sans dégout, sans masque, m’acceptant tel que je suis, avec toutes mes faiblesses, reconnaissant l’amertume et le ressentiment qui peuvent s’y loger ;  du fait que j’ai appris à me contempler le cœur avec franchise et honnêteté : alors je me sensibilise au cœur d’un autre et je remarque malgré les tristesses qui peuvent s’y trouver un cœur qui contient quand même les trésors du ciel, car le cœur humain est fait à l’image du Cœur divin.  Ma perception est purifiée, et cette pureté du cœur me permet de bien voir les autres. Je vois plus clairement que le cœur humain cherche à trouver son propre cœur, le cœur des autres et Dieu aussi dont le cœur est parfaitement pur et abordable.

Et en reconnaissant, par mon cœur, le cœur des autres, le sourire se dessine sur mes lèvres, le sourire de joie et de simplicité, de clarté et de franchise, car je me plais à me trouver chez le cœur d’un autre. Le regard du chakra éveillé s’illumine, étincelant. Il est une bénédiction qui fait vivre les chakras. Il aime l’autre, même ce qui n’est pas aimable. Il perçoit le centre endormi et l’éveille avec le sourire.

L’esprit qui veut réussir à tout prix s’assourdit aux cris des malheureux. Hédoniste et préoccupé par l’égoïsme, il confond le cœur avec le désir sexuel. Narcissiste et sans rapport existentiel avec les autres, cet esprit devient crispé. Le cœur sensibilisé, par contre, n’exige rien et se contente de peu. Il s’élargit et embrasse le monde entier, les justes et les injustes. Sûr de lui-même, il est capable de simplicité et détachement.

Ce chakra n’a rien de douceâtre ou de mièvre, car le cœur est l’organe du sacrifice. C’est bien pour cela que le disciple bien-aimé, éclairé plus qu’il ne le savait, se sent attiré à poser la tête sur le chakra central de Jésus au moment précis où Jésus déclare qu’un de ses disciples va le trahir et que Pierre va le désavouer. C’est comme si le cœur de Jésus se manifestait d’autant plus puissamment juste avant son départ pour le Golgotha.

C’est pour cette raison que le méditant se pose la question : pour qui est-il prêt à se sacrifier. Il pourrait bien vivre pour les autres. Est-il capable de mourir pour son ami, pour sa famille, sa patrie, son Dieu ? C’est dans le sacrifice que le cœur se déploie et se révèle pleinement.

De même pour les amants, c’est dans le sacrifice qu’ils révèlent la qualité de leur amour. Ils peuvent s’appeler ‘mon cœur’ car ils n’ont qu’un seul cœur. Ils s’ouvrent le cœur l’un de l’autre. Le cri de joie entendu sur les lèvres ne disparait pas dans le néant. Il n’est pas en vain car il conduit à la plénitude dont il est l’annonce.

Les triangles du chakra représentent le mouvement ascensionnel et descensionnel, le mouvement vers le ciel et vers la terre, aussi bien que l’attrait réciproque de l’homme et de la femme, et la complémentarité des amis, C’est dans le cœur que le ciel et la terre, les amants et les amis se rencontrent. Le méditant a le sentiment de tout recueillir dans la réserve infinie du cakra central.

Le méditant ressent un soulagement du cœur, comme si un poids s’en détachait. Le cœur s’envole dans l’air comme la fumée de l’encens. Il y un sentiment de légèreté et de liberté, qui entraine les autres dans son sillon. Alors que le cœur alourdi alourdit les autres, le cœur allégé communique sa capacité d’ascension vers le ciel. Le cœur et ses qualités sont une bénédiction pour les autres, cet organe si sensible, le plus sensible, qui fait vivre les autres chakras et leur communique sa chaleur et sa joie.   Ce cœur qui déborde les raisonnements, plus révélateur que le feu du buisson ardent est plus prenant que le nuage où Moïse passa les quarante jours, car il prend part à la passion du Christ.

b. de Dieu

Le méditant chrétien reconnaît les richesses de ce chakra. Au début ce sera peut-être un regard incertain, un regard qui se purifie, un sentiment d’avancer à petits pas par les couloirs sombres et incertains. Mais petit à petit il voit plus clair. Il perçoit dans les profondeurs, même dans les noirceurs de son cœur, un autre cœur qui bat, ce Cœur qui est à l’origine de tous les cœurs, le fond inébranlable, Celui qui est Amour. Le méditant s’écrie, « éternel est son amour », (Ps 136) car il reconnait l’amour irrévocable de Celui qui dépasse tout, et qui ne s’épuise jamais.

Il se peut que le méditant ressente le vertige, car il perçoit d’autant plus clairement le tréfonds infini qui l’attire. Il se laisse tomber de plein gré dans l’insondable profondeur, libre en enfin de tout ce qui le retient.

Il y discerne aussi le son de l’anahāta, le Verbe qui résonne. Le ciel et la terre sont remplis de la gloire de ce son qui provient du cœur et se fait entendre dans le cœur humain d’une façon tout à fait incomparable. Le cœur est le centre idéal de cette voix, le ‘tambour’ de du son spontané qui se fait entendre sans qu’on le supplie. Il n’est pas nécessaire de frapper sur les portes du ciel. Le Verbe d’amour se fait entendre de lui-même.

Et percevant cette voix le méditant s’éblouit. Il dilate l’oreille du cœur pour bien l’entendre, et en l’entendant il la dilate encore plus pour l’entendre encore plus, car il n’aura jamais fini d’écouter l’infini.

A entendre cette voix il ressent une détente, car cette voix n’exige rien de plus que d’être reçu dans l’âme, dans le corps, les émotions, les décisions, les actes, l’avenir, dans l’être entier. C’est comme s’il se prosternait devant en adoration devant cette Présence sonore. Le son est envahisseur et l’invasion est délicieuse.

Le méditant ressent dans le corps la chaleur de l’amour et il bénit Celui qui l’a béni.  Il le bénit par les acclamations telles que, « Je te rends grâce, Seigneur, de tout mon cœur, tu as entendu les paroles de ma bouche » (Ps 138 :1) ou « Louez le Seigneur, car il est bon » (Ps 135 :1). Il le bénit surtout par l’adoration silencieuse.

De cette façon il reconnaît que Dieu est amour. L’Amour devient Amour de façon évidente parce que le méditant l’a reconnu. L’homme fini fait que le Dieu infini soit vraiment infini, non plus réservé au ciel mais manifesté sur la terre aussi.

Dieu est béni par ceux qui le connaissent. Dieu se plait de cette bénédiction. Il avait déclarait qu’il prenait plaisir en Jésus lorsqu’il sortait des eaux du Jourdain ou qu’il se tenait transfiguré sur la montagne. De même, au risque de sembler ajouter à l’infinité de Dieu, celui qui suit les inspirations de l’amour divin fait plaisir à Dieu aussi.

Le méditant qui se penche sur le chakra du cœur y découvre le son qui ne peut se taire. Il va se manifester au cinquième chakra, dans la gorge.

 

V.      SUR CE QUI EST PUR (viśuddha

1. Appuis

a.       Le traité Ṣaṭcakranirūpaṇa

 Le mot viśuddha signifie ‘pur’ littéralement, rituellement et moralement, ‘honnête’, ‘vertueux’, ‘complet’, ‘d’une blancheur éclatante’.

Dans le triangle de ce lotus, tourné vers le bas comme d’habitude, se trouve un cercle, splendide comme la pleine lune, parfaitement blanc et sans les taches sombres.  Ce cercle fait suite au carré, au croissant, au triangle et au double triangle des lotus antérieurs. Sa forme évoque l’infini car elle est sans direction, égale dans tous les sens,  une forme sans forme, pour ainsi dire, l’apogée de toutes les formes.  Alors que le deuxième chakra comporte le croissant de la lune, ici c’est la pleine lune. Ce qui commençait là se complète ici, car c’est dans la gorge que le caché devient évident et que l’intuition devient proclamation.

Ce chakra est situé au fond de la gorge d’où surgit la syllabe HAṀ dessinée au centre du cercle. Les associations de cette syllabe sont multiples. Elle se trouve dans la formule célèbre ‘so ‘ham’,‘je suis Celui-là’, dont le récit identifie le méditant à la divinité. La syllabe HAṀse trouve aussi dans le mot haṁsa, ‘oie sibérienne’ ou ‘cygne’, l’oiseau par excellence du monde symbolique hindou, cet oiseau qui flotte sur la surface du lac, c’est-à-dire qui transcende ce monde transitoire. Toutefois, de temps en temps, le cygne plonge le bec dans l’eau. Il dépasse l’eau mais il s’y mêle aussi. Le méditant qui récite le mantra de la gorge ressentira qu’il dépasse ce monde transitoire en même temps qu’il l’habite.

On remarquera que la syllabe HAṀs’échappe spontanément à la vue d’un chef d’œuvre, par exemple,  ou en goutant un mets délicieux, ou en expérimentant les plaisirs de l’amour. Elle est l’expression de l’émerveillement. Elle surgit du cœur, se fait entendre dans la gorge, et se termine sur les lèvres.

Ce lotus est entouré de seize pétales qui portent les seize voyelles A, Ā, I, Ī, U, Ū, Ṛ, Ṝ, Ḷ, Ḹ, E, AI, O, AU, Ṁ, Ḥ. Le symbolique indien établit une distinction importante entre les voyelles et les consonnes. Les seize voyelles sont ‘masculines’, ‘semence’ ou ‘sperme’, alors que les trente-quatre consonnes sont ‘féminines’, ‘terre’, ou ‘matrice’. Les voyelles sont ‘luisantes d’elles-mêmes’ car on peut les prononcer sans une consonne, alors que les consonnes ont besoin d’une voyelle. La quinzième voyelle, Ṁ, est comme la houle qui surgit de la surface tranquille de la mer; la seizième voyelle signifie l‘instant précis où la vague commence à s’effondre. Les consonnes de K à KṢAsont le déversement même. Les voyelles transcendent l’émanation alors que les consonnes représentent ce monde transitoire, ce monde qui est ‘né’ de la matrice. Selon ce symbolisme la gorge contient toute la sonorité possible.

L’élément de ce chakra est l’espace, la quintessence. Les éléments terre, eau, feu et air représentent des formes de plus en plus subtiles, mais l’espace ne connait pas de limite. Il est l’élément omni-pénétrant, où tous les autres éléments se trouvent, l’élément qui contient tous les éléments.  Il signifie liberté et capacité infinie.

b.       La Bible

La parole divine est tout à fait simple : « Que la lumière soit » (Gn 1 :3) et effective : « et la lumière fut ». Cette parole demeure active dans l’univers car il régit les astres (Is 40 :26) et tous les aspects de la création (Ps 107 :25, 147 :15-18).

La parole et l’acte sont intimement liés. Dieu le dit lui-même,« Ainsi se comporte ma parole du moment qu’elle sort de ma bouche: elle ne retourne pas vers moi sans résultat, sans avoir exécuté ce qui me plaît … » (Is 55:11).

L’identité de la parole et de l’acte est souvent soulignée, par exemple lorsque Isaac, aveugle et mourant, bénit Jacob, le fils cadet alors qu’il avait l’intention de bénir son fils ainé, Esaü, l’héritier légitime. Mais la parole sortie de sa bouche, même contraire à ses intentions, ne peut pas être contredite. « Isaac fut saisi d’un tremblement extrêmement violent et dit: «Quel est donc celui qui a été à la chasse et m’a rapporté du gibier? J’ai mangé de tout avant que tu n’entres. Je l’ai béni et béni il sera» (Gn 27 :33).

Les paroles des prophètes sont efficaces du fait qu’elles sont de Dieu. « Le Seigneur me dit : « Ainsi je mets mes paroles dans ta bouche. Sache que je te donne aujourd’hui autorité sur les nations et sur les royaumes, pour déraciner et renverser, pour ruiner et démolir, pour bâtir et planter. » (Jr 1:9-10)

Tous les prophètes ont ce même sentiment que Dieu leur parle directement, pour le bonheur et le malheur des hommes. Ce qui apparaît dans la gorge du prophète sauve celui qu’il l’accepte et détruit celui qui le refuse. La langue est comme une épée à double tranchant (cf. Heb 4 :12), qui bénit et qui condamne. La parole de Dieu est douce et amère à la fois (Ap 10 :8-11).

Les mots inspirés sont puissants, non pas comme les formules magiques censées effectives par elles-mêmes mais parce qu’ils sont intimement liés au Dieu tout-puissant.

Le Dieu caché se révèle par les prophètes. Il révèle aux hommes leur façon de vivre dans le présent et leur destin dans l’avenir. La parole a une portée eschatologique, car de même que Dieu prononça le monde au début, de même à la fin il prononcera la création nouvelle.

La voix humaine, devenue le véhicule de la voix divine, influe sur l’intelligence et avant tout sur le cœur. La parole n’est pas Dieu lui-même mais celui qui la reçoit entre en contact avec lui.

La parole humaine qui communique les faits et les idées révèle surtout le tréfonds de la personne.  (Sagesse 27 :4-7) Elle en est la forme phonique. Les sottises, les mensonges, et les médisances font voir les défauts d’un homme. Le sage par contre sait régler les paroles pour guérir et bénir.  « Si quelqu’un ne trébuche pas lorsqu’il parle, il est un homme parfait … La langue … est un feu … Avec elle nous bénissons le Seigneur et Père; avec elle aussi nous maudissons les hommes, qui sont à l’image de Dieu. » (Jc 3 :2, 6, 9)

Jésus, bien qu’il soit appelé prophète (Lc 7 :16), s’en distingue, selon la tradition chrétienne, car la parole ne lui est jamais adressée. Au contraire, il est la parole même, la parole au fond de toutes les paroles prophétiques, le Verbe divine qui s’est révélé dans la chair. Il sait ce qu’il dit ; il est ce qu’il dit. Il y a identité entre lui et ses paroles. Celui qui est au cœur du Père le révèle aux hommes.

De lui dérive en dernier ressort tout ce qui est et tout ce qui sera. Sa parole est puissante: d’un mot il guérit, d’un mot il pardonne, d’un mot il calme la tempête.  Ses paroles sont esprit et vie (Jn 6 :63).  Elles sont de lui mais aussi de Celui qui l’a envoyé et qui dépasse tous les mots, l’Ineffable. Ses paroles suggèrent l’Indicible ; elles ne le définissent pas.

Mais sa parole la plus émouvante est un cri, ce dernier cri alors qu’il meurt, un cri à la fois de douleur et de triomphe, de désespoir et de confiance dont ‘les sept paroles’ prononcées sur la croix explicitent le contenu. Ce grand cri surgit du fond de sa gorge, de son être entier, et semble retentir jusqu’à la fin des temps.

La parole que l’Église annonce n’est autre que la parole de Jésus lui-même, vivante et efficace (He 4 :12). Ressuscité d’entre les morts il envoie ses disciples tout comme lui a été envoyé. (Jn 20 :21) et il leur donne le pouvoir de remettre ou de retenir les péchés. (Jn 20 : 23)

Ce qui compte ce n’est pas l’éloquence et les connaissances d’un Apollos (Ac 18 :24). Paul reconnaît qu’il n’est pas doué de cette façon, mais il préfère le langage de la croix (I Co 1 :18) qui inspire la foi dans le cœur et conduit à sa profession (I Cor 15 :3ss). « Tout près de toi est la parole, dans ta bouche et dans ton cœur. … Si, de ta bouche, tu confesses que Jésus est Seigneur et si, dans ton cœur, tu crois que Dieu l’a ressuscité des morts, tu seras sauvé. » (Rm 10 :8-9 )

Cette foi conduit le croyant au bain de baptême d’où il sort, pur et renouvelé, vêtu de blanc.   Il n’est plus de ce monde. Il est ressuscité avec le Christ qui s’est élevé dans l’espace, au-delà de tout ce qui est limité, et s’est assis à la droite du Père. Les chrétiens « restent dans le monde … mais ne sont pas du monde ». (Jn 17 :11, 16).

Le visage du chrétien, par conséquent, est glorieux ; la lumière divine s’y reflète sans dépérir.  C’est la gloire éternelle du Dieu éternel, car le croyant est pleinement à l’image de Dieu. « Et nous tous qui, le visage dévoilé, reflétons la gloire du Seigneur, nous sommes transfigurés en cette même image, avec une gloire toujours plus grande, par le Seigneur, qui est Esprit. » (2 Cor 3 :18)

 

2. Approches

a.       par le corps

L’exclamation fait vibrer les cordes vocales, comme dans la récitation du mantra. Le chrétien peut ici soit pratiquer l’exercice en usant des mantras du tantra, soit trouver un « mot court de syllabes », comme le prescrit le Nuage d’Inconnaissance, mot de référence chrétienne, qu’il prononcera avec lenteur et attention.

Il prononce le mantra de lui-même, avec sa propre autorité. Si le mantra lui est imposé, s’il ne sait le réciter de tout son cœur, ce mantra n’est pas le sien. S’il n’y trouve pas étonnement et joie, il n’a pas encore découvert son mantra. Si, la gorge déployée, il récite ce mantra sans contrainte, c’est parce que ce mantra lui sied. Si le mantra est forcé, la gorge ne sera pas à l’aise. La gorge jugera, donc, de la qualité du mantra. Il faut qu’il ait concorde entre cœur et gorge, entre le quatrième et le cinquième chakra.

En utilisant ce mantra, le méditant trouve sa vérité, son être authentique et il s’en réjouit. Il prend possession de son mantra en le récitant, et il devient le mantra qu’il récite.  La gorge est libre de mensonge, de calomnie, et de tricherie. Elle est transformée par la parole qu’elle prononce. Ce lieu de pureté est un lieu de transfiguration aussi.

Le méditant agit naturellement. Il ne réfléchit pas sur le mantra comme s’il analysait ou étudiait ce qu’il dit. Les amants se parlent spontanément et sans étudier le sens de leurs mots. Par la suite ils peuvent bien y réfléchir, mais à l’instant ils sont épris sans s’en distraire.   De même chez le méditant. Du fait que toute la personne est engagée, il se trouve équilibré, intégré, et sans désaccord.

Toutefois le travail de la gorge n’est pas un balbutiement, une répétition semblable aux cris d’un perroquet. Le méditant est conscient du sens de qu’il récite. La gorge est située entre le cœur et la ‘tête’. Si le travail de la gorge ne vient pas du cœur, il est contrefait et sans authenticité ; s’il s’oppose à l’intelligence il sera insensé et ridicule. Le méditant harmonise toutes les capacités, cœur,  tête, corps et souffle de même qu’il harmonise tous les chakras.

Ce chakra se nomme viśuddha, ‘pur’ ou ‘clair’, car c’est ici que le mantra du cœur est ‘déclaré’. Ce qui était imprécis ou vague, devient distinct. La déclaration fait voir que les incertitudes et les doutes ont disparu. La gorge cesse d’être paralysée et devient souple ; elle déclare ce qui est, de sorte que ce qui se voile soit découvert.

La voix révèle tout. Les auditeurs sont sensibles à la qualité de la voix et entendront bien si elle surgit du tréfonds de l’être ou si elle est fictive, prétentieuse et maniérée. La voix qui surgit spontanément dans la gorge est une voix belle, ferme, parfaitement à l’aise, et vigoureuse.Le pratiquant perçoit que le mantra vient non seulement du cœur et de la gorge mais qu’il est inspiré aussi, qu’il vient d’en haut, qu’il est la parole de Dieu mise en sa bouche. La gorge devient un lieu de théophanie. Il y a donc concorde entre le soi et la volonté divine, de même qu’il y a concorde entre toutes les parties du corps. Il cesse d’être un être divisé ; il se sent cohérent et donc purifiée. Les taches, les erreurs, l’ignorance, et les fautes disparaissent, comme lavées. L’exclamation le purifie. On voit ce changement chez St Paul qui en premier lieu se plaint de la perturbation de son esprit:

« … je prends plaisir à la loi de Dieu, en tant qu’homme intérieur, mais, dans mes membres, je découvre une autre loi qui combat contre la loi que ratifie mon intelligence; … Malheureux homme que je suis! Qui me délivrera de ce corps qui appartient à la mort? » Et puis il s’exclame, « Grâce soit rendue à Dieu par Jésus Christ, notre Seigneur! » (Rm 7:22-25)

Si le méditant, à l’instar de St Paul, récite le mantra « Jésus est Seigneur », ce mantra sans cesse répété à travers les siècles, ce nom qui est « au-dessous de tout nom », ce nom auquel  « tout genou fléchit, dans les cieux, sur la terre et sous la terre … à la gloire de Dieu le Père »   (Ph 2 :9-11)le mantra qui est la forme phonique de Jésus : le méditant devient ce qu’il dit.  En l’insérant dans la gorge il s’unit au Seigneur et ne forme qu’un corps avec lui.

C’est pour cela qu’il ne prend pas sur les lèvres les phrases à contre cœur ou les noms de divinités irréelles,  car il deviendrait alors faux et irréel lui-même. Il prononce ce qui est vrai et devient vrai.

La parole authentique provient du cœur et surtout du Cœur infini. Elle est donc puissante et efficace. Et en signe de son efficacité elle fait que Jésus soit vraiment Seigneur. Bien que, selon la tradition chrétienne Jésus soit déclaré Seigneur par Dieu lui-même, le croyant aussi prend part à cette exaltation. Jésus devient Seigneur parce qu’il est acclamé comme Seigneur. Dieu et le méditant tous les deux font que Jésus soit Seigneur.

Le mantra récité dans la gorge est une exclamation ; il n’est pas une définition. Il a un sens mais suggère bien plus qu’il ne dit. Le mot fini ne peut pas contenir l’infini. Le méditant sait bien que le mantra n’est que le véhicule d’un propos plus grand, plus émouvant. Le mantra indique, et le méditant se plait à entrevoir apparaitre dans la gorge même ce qui dépasse la gorge, ce qui purifie bien plus « qu’aucun foulon sur terre ne saurait blanchir. » (Mc 9 :3)

Le méditant accepte la tradition dont il accepte le mantra. Si le croyant proclame de son propre gré que Jésus est Seigneur il affermit l’Église. Malheureusement s’il le récite à contre cœur, sans illumination personnelle et sans conviction la communauté sera affaiblie. Ce petit instrument, la gorge, ce cinquième chakra, est remarquable.

Ce chakra devient un symbole. Il cesse d’être clos ou rigide et se dégage. Son ouverture symbolise à la fois la générosité de Dieu qui créa le ciel et la terre (Gn 1 :1) et l’ardeur d’Adam. A la vue d’Ève, Adam prononce les premières paroles humaines directes de la Bible. Il s’exclame «Voici cette fois l’os de mes os et la chair de ma chair, celle-ci, on l’appellera femme car c’est de l’homme qu’elle a été prise». (Gn 2:23) Son exclamation n’est pas une constatation. Elle est l’expression de l’alliance qu’il conclut avec sa femme et ressemble à la phrase de 2 Samuel : « Toutes les tribus d’Israël vinrent trouver David à Hébron et lui dirent: «Nous voici, nous sommes tes os et ta chair. … et le roi David conclut en leur faveur une alliance. »  (2S 5:1, 3) Adam se donne intégralement en cette exclamation. Du fait que selon la tradition biblique, les mots sont des actes, Adam se donne complètement dans la parole.   Les premiers mots humains de la Bible proclament un mariage.

L’évangéliste nous dit que Jésus a pris sa place sur la montagne, et que ses disciples sont venus s’assoir autour de lui.  Le texte grec dit alors qu’il ‘ouvre’ la bouche. On retrouve ce même mot lorsque, au moment du baptême,  le ciel s’ouvre, l’Esprit descend et la Voix se fait entendre. Il n’y a plus de barrière entre le ciel et la terre. Ainsi, de la bouche de Jésus viennent les paroles de la vie, pour recréer un monde harcelé. De même, par la puissance du mantra, que ce soit la syllabe HAṀ ou un autre mantra authentique, un monde nouveau, purifié et rafraichi, émane de la gorge du méditant. Il pourrait bien s’écrier : « Tu caches ton visage: ils s’épouvantent ; tu reprends leur souffle, ils expirent et retournent à leur poussière. Tu envoies ton souffle : ils sont créés, tu renouvelles la face de la terre. » (Ps 103 :29-30)

Le mantra est la forme phonique de la divinité et révèle tout ce qu’elle est. En récitant le mantra, si particulier qu’il soit, le méditant révèle la divinité même et crée un monde nouveau.

b.       par l’imaginaire

Le mantra HAṀ élargit la gorge et ouvre la bouche. On a déjà vu que l’univers provient de la parole de Dieu et que la race et l’amour humains proviennent de l’alliance annoncée par Adam. On pourrait s’imaginer la gorge comme la corne d’abondance, la source de vie inépuisable.

Jésus ouvre la bouche dont les mots se répandent sur le monde en bénédiction.  Le prêtre à la fin de la messe bénit l’assistance et la renvoie pour bénir le monde. Également le méditant peut imaginer la force de son mantra redonner vie à ce qui est las et épuisé.

Il pourrait s’imaginer la nourriture céleste toucher ce seuil entre la bouche et l’estomac, ce chenal qui reçoit le Pain eucharistique et qui émet la Parole vivante.

Il s’imagine le visage rayonner de lumière, plus splendide que la lune sans tache, car il est illuminé par la gloire de Dieu apparue sur le visage du Christ. Cette clarté ne disparaît pas ; il y a gloire sur gloire.

Il s’imagine que les souillures, s’il en a, disparaissent petit à petit du fait qu’il contemple la pureté de ce chakra, organe du salut.

Il pourrait envisager la gorge parée de bijoux ou de médailles : pratique qui indique l’importance de ce cinquième chakra.

La gorge purifiée de cette façon, le méditant prévoit les bienfaits promis par tant de textes indiens : ses mots seront attrayants, consolants, beaux, vigoureux, poétiques.

c.       par le souffle

Lorsqu’on cherche à percevoir sa respiration, on se concentre facilement soit sur les poumons et le diaphragme, car leur mouvement attire facilement l’attention, soit sur le nez car l’entrée et la sortie de l’air, avec d’éventuelles différences de chaleur y est perceptible. Mais il est intéressant aussi de percevoir le passage de l’air dans la gorge, ce grand va et vient tranquille de la respiration.

Les techniques yoguiques de souffle, le prāṇāyāma, sensibilisent la gorge. Par exemple, la technique dite ujjayi consiste à respirer, toujours par le nez, en contraignant légèrement la gorge de sorte que le souffle fasse un léger bruit. Une autre technique consister à obstruer alternativement une des narines. De cette façon le souffle est engagé de façon égale dans les deux narines. Du fait que le nez est, anatomiquement, l’extension du cerveau, l’harmonisation des deux narines sert à concilier les deux hémisphères du cerveau et donc le côté émotionnel et le côté rationnel de la psyché.

Le méditant peut, s’il veut, se concentrer tout simplement sur cette alternance de l’inhalation et de l’exhalation qui constitue un ‘mantra respiratoire’. Selon la tradition hindoue, le va et vient de l’haleine est dénommé ajapa-japa, ‘la récitation sans paroles’. L’expérience est délicieuse. Nous sentons l’haleine nous vivifier, nous rafraichir, et nous soulager, du fait que l’oxygène entre dans le corps et que le dioxyde de carbone en est expulsé.

La toute première inhalation a lieu immédiatement après la naissance ; la dernière exhalation a lieu au moment de la mort. Cette alternance d’inhalation et d’exhalation nous accompagne tout au long de la vie, peut-être 20,000 fois par jour. C’est comme si on expérimentait des centaines de fois chaque heure le moment de la naissance et le moment de la mort. En concentrant sur ces deux haleines, on revit le début de la vie et on anticipe sa fin.

On remarquera aussi en concentrant sur le souffle que l’exhalation et l’inhalation fonctionnent différemment. Il n’y a pas de pause à la fin de l’inhalation alors qu’il y a une pause pendant quelques instants à la fin de l’exhalation, une ou deux secondes. En fixant l’attention sur cette pause qui dépasse le souffle, le méditant se rend compte qu’il dépasse le cycle de la vie et de la mort. Il perçoit plus clairement qu’il est à l’image de Dieu qui transcende le temps et ses alternances.

Le souffle révèle l’état d’âme: il y a le souffle saccadé, le souffle nerveux, l’hyperventilation, le soupir, l’exclamation de soulagement, etc. Le méditant, en se concentrant sur le souffle, cherche à le calmer pour que l’esprit devienne tranquille.

En s’ouvrant le cinquième chakra pour que le souffle passe librement, y a-t-il un danger de se laisser envahir par les mauvais esprits? La même question se pose au sujet de tous les chakras. Mais, si dès le premier chakra le méditant se repose sur les profondeurs de Dieu, si les eaux qui surgissent de ce ‘rocher’ sont les eaux vives, si tout au long de cette montée dans le canal du milieu c’est l’Esprit Saint qui guide le méditant, le souffle qui vient du cœur sera à l’image du Souffle de Dieu. La ‘Méthode d’oraison hésychaste’ ajoute un conseil à cet égard, « … dorénavant, dès qu’une pensée pointe, avant qu’elle ne s’achève et ne prenne une forme, par l’invocation de Jésus Christ il la pourchasse et l’anéantit. Dès ce moment, l’esprit dans son ressentiment contre les démons réveille la colère qui est selon la nature et frappe à la poursuite les ennemis spirituels. »[44]Le méditant repousse les ‘pensées’, c’est-à-dire les distractions et les tentations; il continue à se concentrer sur « l’air existant au centre du cœur » et se fie au Sauveur.

Il n’est pas inévitable qu’en s’ouvrant à l’infinité de Dieu on soit envahi par le mal. Au contraire, en concentrant sur le souffle, petit à petit, à cause de la prédisposition de l’homme qui est créé à l’image de Dieu, le souffle commence à être perçu différemment. Le souffle, la ruahde l’Ancien Testament, adopte les qualités de l’Esprit Saint du Nouveau Testament. Selon La Genèse « Le Seigneur Dieu modela l’homme avec de la poussière prise du sol. Il insuffla dans ses narines l’haleine de vie, et l’homme devint un être vivant. » (Gn 2 :7) Le souffle divin donne la vie et montre le chemin de vie. « Seigneur, j’ai un abri auprès de toi. Apprends-moi à faire ta volonté, car tu es mon Dieu. Ton souffle est bienfaisant : qu’il me guide en un pays de plaines. » (Ps 142 : 9-10) Le jour de Pâques, Jésus imitant le geste de Gn 2 :7 projette l’haleine de sa gorge, « il souffla sur eux et leur dit: «Recevez l’Esprit Saint. » (Jn20.22) Le méditant attire son attention sur son souffle qui s’unit au Saint Esprit, et de cette façon il se transfigure. Motovilov raconte la célèbre conversation avec Saint Séraphin Sarov. « L’Esprit Saint est lumière », dit Séraphin. C’est parce que Séraphin existe dans la plénitude de l’Esprit Saint que son visage rayonne comme le soleil et que le paysage enneigé reflète cette lumière. Motovilov lui-même est devenu lumière du fait d’exister dans cette plénitude.[45]

Le rapport entre Verbe et Esprit est essentiel et intime. De même que l’air, l’élément du quatrième chakra, se manifeste et devient souffle, la parole cachée dans le cœur se fait entendre dans la gorge. En se concentrant sur le souffle on devient conscient de l’Esprit ; en se concentrant sur le mantra on devient attentif au Verbe. Tout cela se passe dans la gorge, d’où l’importance de ce chakra.

d.       par le mantra

Il est utile, au début, que le mantra soit récité à haute voix, de sorte qu’il entre ‘dans le corps’, pour ainsi dire, et que la personne soit comme transformée par la parole sacrée. Ce que l’on est prêt à dire clairement indique ce que l’on croit vraiment. Ensuite, le mantra peut être récité doucement, en chuchotant,  sans que la voix entière soit engagée C’est un peu comme chez amants qui préfèrent les paroles d’amour dites en susurrant, à voix basse, comme si elles étaient de cette façon plus intimes. Le mantra est récité toujours avec la même sincérité. Finalement, le mantra peut être récité mentalement, toujours avec la même envergure. Rappelons que le mot ‘mantra’ signifie ‘travail’ [tra] ‘mental’ (manas).

Le mantra peut consister en des mots intelligibles, des phrases d’une prière, et même en une prière tout entière. Par exemple, « A pleine voix, je crie vers le Seigneur ! A pleine voix, je supplie le Seigneur ! Je répands devant lui ma plainte, devant lui, je dis ma détresse. Lorsque le souffle me manque, toi, tu sais mon chemin. » (Ps 141 :2-4)

Le mantra peut consister aussi en une exclamation de joie ou même en un cri de douleur. Ils sont d’autant plus authentiques et plus émouvants du fait qu’ils surgissent du tréfonds de l’être.

Le mantra HAṀque le Ṣaṭ-cakra-nirūpaṇa associe avec ce chakra ressemble au premier cri de Jésus nouveau-né et au dernier cri de Jésus sur la croix, ces cris qui jaillissent de tout son être et qui manifestent tout son être.

Le méditant s’exprime librement, quel que soit le mantra, de quelque religion que ce soit, et de quelque manière que ce soit, à voix haute ou silencieusement. Il se pourrait qu’il ne soit pas en mesure de réciter son mantra ou de professer sa foi ouvertement. Aussi, le récitant prononce-t-il le mantra dans le cœur, là où il est apparu au début. Il conserve sa liberté, même s’il est en prison, car sa liberté se trouve principalement au fond du soi.

Le mantra surgit du silence, du trésor enfoui dans le cœur. Il se fait entendre dans la gorge et puis il s’évanouit. La disparition n’est pas un anéantissement mais une traversée dans l’au-delà. La fin du mantra transporte le méditant dans l’Indicible, dans ce Silence d’où est venu le Verbe. Le méditant peut alors, s’il le désire, demeurer en ce Silence qui est la plénitude, car tout a été dit.

La gorge redevient tranquille, car elle se réalise dans la prononciation. Elle a accompli ce qu’elle devait faire. Elle peut se reposer, comme Dieu le septième jour. (Gn 2 :2).

Le mantra qui surgit du cœur donne au cœur sa réalité. De même le chakra de la gorge rend réel le chakra du cœur. Il refait la terre aussi, car le monde créé au début par la parole divine est recréé maintenant par le mantra. C’est ce que le méditant ressent pendant la récitation et il se plait à contempler cette transformation.

Pendant la cérémonie du baptême le célébrant touche le cœur du candidat avec de l’huile sacré, acte symbolique qui rappelle l’onction qui donnait aux gladiateurs le courage d’entrer dans l’arène et faire face à la mort. Le candidat au baptême reçoit cette onction pour qu’il soit capable de professer la foi sans hésitation devant l’assemblée.

Les paumes de l’Office et les acclamations de la Messe sont des mantras.  Tout comme la lune et le soleil structurent le temps et embellissent les paysages, le rythme du chant et la beauté de la mélodie pendant les offices façonnent et agrémentent la durée. Les participants de la liturgie s’unissent à réciter ensemble ces mantras traditionnels ; ils deviennent un seul corps par la proclamation des mêmes mantras. En même temps le mantra récité en commun confirme le mantra récité en privée tout comme la récitation du mantra en solitude prépare à la récitation du mantra en public. Le mantra personnel et les mantras de l’Église se réfèrent.

L’évangile chrétien fut proclamé pour la première fois le jour de la Pentecôte où les pèlerins venus du monde entier se trouvèrent réunis à Jérusalem. Ils ont tous entendu, chacun dans sa propre langue,  la même annonce qui réconcilie les cultures et les traditions contraires. Du fait que le récitant s’attache à la parole suprême, qui est la source de tous les mantras, il sent que son mantra particulier contient tous les mantras du monde. Il a le sentiment de réunir par son mantra tout ce qui est contraire et divisé.

Les sensations expérimentées pendant la récitation des mantras sont bien plus subtiles celles de la prononciation des mots de tous les jours. Le mot inspiré ouvre la gorge d’une façon tout à fait différente, bien plus subtile et riche. Également, du fait que l’inspiration du même Esprit se manifeste différemment en chaque croyant, le mantra révèle les secrets cachés depuis le commencement du monde. Le travail de ce chakra est révélateur à bien des points de vue.

 

3. Bénédictions

a.    du prochain

Le méditant, la gorge déployée, récite son mantra à haute voix, ou bien, la gorge toujours décontractée, il le récite mentalement.  Il écoute son mantra encore plus qu’il ne le dit. Se sensibilisant à son mantra il se sensibilise aussi au mantra des autres. Sachant déclarer il sait écouter aussi. Il donne la permission, pour ainsi dire, aux autres de déclarer ce qui leur vient du cœur. Il ne les empêche pas par esprit de dictature ; il les libère car il est libre. Devenu pur par la déclaration de son mantra, il ne place pas d’obstacle aux autres. Eux se rendent compte à quel point il a été purifié par la méditation sur ce chakra ; et ils font de même. La purification de l’un facilite la purification des autres.

En déclarant le mantra du cœur on dégage le cœur. La franchise et la simplicité transforment les yeux qui deviennent alors clairs et rayonnants. La splendeur de la pleine lune et la gloire du soleil rayonnent sur le visage de ceux qui ont perçu la gloire de Dieu. Il n’y a plus de voile ou de masque, comme c’est le cas chez ceux qui se doutent de soi. Le regard pur purifie tout ce qu’il regarde. Le méditant se réjouit de la splendeur de la grâce sur le visage de l’autre.  Le regard paisible et puissant, connaissant, et intelligent, manifeste le visage du Dieu caché.

La pureté se manifeste dans la voix aussi. L’accueil est franc, tout comme le regard est limpide, ce qui fait contraste avec le mépris et la froideur des propos de ceux qui refusent leurs prochains. Le méditant qui accueille son mantra, qui s’exerce au mantra, qui accepte sa gorge, pour ainsi dire, accepte les autres et les mantras qui se manifestent dans leur gorge. Il devient plus sensible à la qualité de leur chakra et par la qualité de leur voix.

Il se réjouit de la liberté d’expression, non pas de cette licence d’expression qui véhicule un égoïsme et ne tient pas en compte les besoins de l’autre, cette licence qui provient d’un sentiment d’angoisse et d’orgueil. Sachant la valeur de ce qui surgit de son chakra central, il sait attendre le moment juste, il sait quand il faut parler et quand il faut se taire.

Les effets sur le méditant se transmettent au prochain. Le bonheur qui lui arrive est tout naturellement partagé. Également de la gorge de l’autre vient ce souffle de l’Esprit que Jésus a émis le jour de Pâques. Le méditant se sent autorisé et habilité par ce souffle. Les bénédictions se partagent.

b.       de Dieu

Les eaux de la grâce convergent sur la gorge pour la faire acclamer et proclamer. De fait, le mantra inspiré manifeste Dieu. Il le révèle, il le rend évident, il le fait entendre sur la terre. Ce chakra est le lieu où l’Esprit se fait sentir, et que le Verbe se fait entendre. Ce qui était obscur vient clair. Les trois jeunes hommes dans la fournaise (Daniel 3 :24-68) invitent le soleil et la lune, la pluie, le feu et le vent, tout ce qui existe à louer le Seigneur.

« Toutes le œuvres du Seigneur,

bénissez le Seigneur …

Vous les anges du Seigneur,

bénissez le Seigneur …

Et vous baleines et bêtes de la mer,

bénissez le Seigneur …

Et vous les enfants de hommes,

bénissez le Seigneur ! »

Leur chant fait savoir aux percuteurs qui cherchent à les taire que la terre entière se joigne à eux pour louer le Seigneur. Ils glorifient Dieu et font qu’il soit connu. A cause de leur chant la terre cesse d’être déserte et devient le temple saint.

La montée de l’Esprit de Dieu, qui a commencé avec la concentration sur le tréfonds du premier chakra se manifeste dans ce cinquième chakra. L’erreur cherche à se cacher ; la vérité cherche à se manifester. C’est par la lucidité croissante de la conscience qu’on juge de la valeur de ce qui se passe. Ce chakra est le lieu où Dieu est annoncé, loué, et béni. Le royaume des cieux s’établit davantage car Dieu devient manifeste. La bénédiction de Dieu se fait principalement par ce chakra.  Le chant des anges au ciel se fait entendre sur la terre.

Le cinquième chakra nous amène au sixième, le chakra final qui est situé dans la région du front la dernière étape avant le sahasrāraqui n’est pas un chakra comme les autres ; il en est la floraison infinie.

 

VI        SUR LE SIÈGE DE L’AUTORITÉ (ājñā)

1. Appuis

a.       Le traité Ṣaṭcakranirūpaṇa

Le mot ājñāsignifie ‘commande’, ‘autorité’, ‘pouvoir illimité’. Il signifie aussi ‘perception’, ‘confiance’, ‘la concentration de l’attention’.

Il se situe entre les yeux et un peu au-dessus des sourcils, le lieu du ‘troisième œil’.  Les deux yeux physiques voient le dehors des choses; le troisième œil en perçoit l’essence. C’est l’œil de la perception et de l’intelligence en profondeur.

C’est surtout par ce troisième œil que le gourou communique avec le disciple. Il lui commande ce qu’il doit faire. De par le troisième œil dont il est lui-même toujours conscient, il éveille le disciple et lui rend capable de méditer sur cet œil. Il lui donne son autorité, et fait que le disciple cesse d’être dépendant et qu’il découvre son propre soi et par conséquent devienne capable de commander ses propres disciples.

Très souvent en Inde cet endroit est marqué avec de la poudre, couleur de santal pour les hommes, et rouge vif pour les femmes. Cette marque est appelée binduqui signifie ‘goutte’ ou ‘point’ car c’est d’un point sans dimension, un zéro, que l’univers se déploie.

Alors que les pétales des autres chakras étaient colorés, les deux pétales de ce chakra sont blancs. Le blanc signifie ‘immaculé’, ce qui est ‘sans couleur’ et ‘sans taches’, et en donc capable de recevoir toutes les couleurs sans les altérer. Le ‘blanc’ est à la fois transcendant et immanent.

Le cercle du lotus est transparent, on pourrait dire ‘vide’, ce qui indique d’avantage la parfaite pureté de ce chakra, à la fois sans limites et ouverte à toutes les modalités. Il est lumineux.

Le liṅgamqui s’est manifesté dans le premier chakra entouré par le serpent, apparaît ici, dans le cercle transparent,  pour la deuxième fois, glorieux. C’est ici, dans ce sixième chakra, que le masculin et le féminin se réunissent.

La montée de la kuṇḍalinīle long du canal central s’accompagnait des 34 consonnes inscrites sur 34 pétales jusqu’au quatrième cakra dans le cœur, et des 16 voyelles inscrites sur 16 pétales jusqu’au cinquième chakra dans la gorge.Le sixième chakra n’en a que deux. Le phonème KṢAṀ qui symbolise la déesse Śakti est écrit en blanc sur blanc sur le pétale droit du point de vue du lecteur, mais sur le pétale gauche du point de vue personnel.  Le phonème HAṀ, lui aussi écrit en blanc sur blanc, se trouve sur le pétale gauche du point de vue du lecteur, mais sur le pétale droit du point de vue personnel. Il symbolise le dieu Śiva.

Le mot Sanskrit KṢA signifie la terre, un champ. Il signifie aussi le Śaktiau premier moment de l’émanation du monde qui vient de sa matrice. Le phonème signifie Śiva.  C’est de l‘union de HAṀ (Śiva) et KṢA (Śakti) que le monde provient.

Les deux pétales sont l’aboutissement des deux courants iḍā et piṅgalāqui surgissent du mūlādhāra, se séparent et se réunissent finalement en ājñā. Le courant iḍācorrespond au côté gauche du corps et au côté droit du cerveau. Il symbolise la lune, le féminin et l’introversion. Le courant piṅgalācorrespond au côté droit du corps et au côté gauche du cerveau. Il symbolise le soleil, le masculin et l’extroversion. Ces deux courants contraires se rencontrent, se balancent et s’harmonisent dans ce chakra. Ils rejoignent le suṣumnā qui va culminer dans le sahasrāra. On y reviendra.

Le phonème du sixième chakra est AUṀ, le praṇava, qui symbolise la Parole suprême. Les deux voyelles Aet Ucoalescent suivant les règles de prononciation pour devenir OṀ.  On peut aussi prononcer les voyelles séparément comme Aet et . Au cours du sacrifice védique, alors que le célébrant récitait les mantras, un groupe de brahmanes murmuraient le son AUṀ sans arrêt, comme un bourdon, pour que si le célébrant prononça mal un mantra, le AUṀ, qui est le fondement de tous les mantras, puisse suppléer à la maladresse.

Il y douze étapes dans la disparition du son. Les trois premiers sont les voyelles audibles Aet Uet Ṁ.Les neuf étapes suivantes deviennent de plus en plus subtiles pour aboutir au ‘transmental’.

Il est utile ici, pour essayer d’expliquer ce qui est un peu complexe et qui ne doit pas nous retarder, de faire référence au verset 1 :3 de la Genèse. Tout d’un coup et sans explication le mot ‘Dieu’ apparait. Le texte aurait pu finir là, mais il continue, ‘Dieu dit’ ; il y donc un mouvement, un choix, une limitation, car le texte aurait pu dire ‘Dieu pensa’. Le texte continue : ‘Dieu dit que’, mais quoi ? Le ‘dit’ se limite d’avantage car le texte continue, ‘que la lumière’. Dieu aurait tout aussi bien pu dire ‘vent’ ou autre chose.  Et puis le texte finit ‘et la lumière fut’, alors qu’il aurait pu dire, si Dieu n’était pas tout puissant, ‘ne fut pas’. Il y a donc cinq ‘amoindrissements’, si on peut dire. Cela doit suffire pour l’instant. La pensée indienne en détecte quatre autres étapes.

Après voir prononcé le AUṀ, l’attention du récitant repart dans le silence, au-delà de ce monde, au-delà de toute particularité, au-delà même du mot ‘Dieu’, pour entrer dans la conscience ineffable. La disparition du son n’est pas une absence de la parole mais sa plénitude. Elle est connue en silence.  Ce chakra implique donc une perception accrue de l’infini qui dépasse tout et qui est à l’origine de tout.

Le Ṣaṭcakranirūpaṇa énumère les bienfaits de ce chakra. Il confère l’omniscience et la capacité d’entrer dans le corps d’un autre. Le méditant connaît le sens de toutes les écritures. Il se rend compte de son identité avec la divinité et en acquiert tous les pouvoirs dont l’emprise est telle que les dieux mêmes ne peuvent pas les résister.  Le méditant devient créateur, destructeur and conservateur des trois mondes, c’est-à-dire des cieux,  de la terre, et de ce qui est sous la terre. Il est bienfaiteur renommé.

La concentration sur ce chakra conduit à l’élimination de toute pensée et l’abandon de la sphère matérielle. Le Ṣaṭcakranirūpaṇa parle de la ‘fermeture de la maison’ qui est la dissolution et l’absorption dans le Soi universel. Le sahasrāra apparaît, non pas comme un autre chakra mais comme ce qui dépasse et inclut tous les chakras.

b.       La Bible

La sixième tablette de Enuma Elish, texte babylonien, décrit la création de l’homme avec le sang de Kingu, l’ennemi des dieux. Marduk, le créateur, se dit « Je vais créer un sauvage ; son nom sera ‘homme’. Il sera au service des dieux pour qu’ils soient à l’aise. » Selon le récit biblique, par contre, Dieu crée l’homme et la femme à son image, par la force de la parole seule.  Ils ne seront pas serviteurs ; ils sont maitres. Le psaume développe cette idée

« Quand je vois tes cieux, œuvre de tes doigts, la lune et les étoiles que tu as fixées, qu’est donc l’homme pour que tu penses à lui, l’être humain pour que tu t’en soucies? Tu en as presque fait un dieu: tu le couronnes de gloire et d’éclat; tu le fais régner sur les œuvres de tes mains; tu as tout mis sous ses pieds : tout bétail, gros ou petit, et même les bêtes sauvages, les oiseaux du ciel, les poissons de la mer, tout ce qui court les sentiers des mers. »  (Ps 8 :4-9)

Cette même idée de maitrise revient dans le texte où le prophète Isaïe parle du roi davidique,

« Un rameau sortira de la souche de Jessé, un rejeton jaillira de ses racines. Sur lui reposera l’Esprit du Seigneur: esprit de sagesse et de discernement, esprit de conseil et de vaillance, esprit de connaissance et de crainte du Seigneur et il lui inspirera la crainte du Seigneur. Il ne jugera pas d’après ce que voient ses yeux, il ne se prononcera pas d’après ce qu’entendent ses oreilles. Il jugera les faibles avec justice, il se prononcera dans l’équité envers les pauvres du pays. De sa parole, comme d’un bâton, il frappera le pays, du souffle de ses lèvres il fera mourir le méchant. » (Isaïe 11 :1-4)

Il est juste et il détruit les injustes. Mais le roi davidique n’est pas dictateur ; il n’agit pas selon ses propres fantaisies. C’est ‘l’Esprit du Seigneur’ qui le guide.  Le politique est subordonné au spirituel, ce qui amènera inévitablement aux conflits, de Saul avec Samuel (I S 13:7-15), de Achab avec Elie (1 R 21:17-24), par exemple.

Le Fils de David, Jésus, fera preuve de cette même capacité de commander. L’évangéliste remarque à quel point Jésus étonne ses auditeurs, car il parle « en homme qui a autorité et non pas comme leurs scribes ». (Mt 7 :28-29) Autrement dit, il sait de par lui-même ce qu’il dit, et non pas en dépendance des autres, même des textes sacrés. Il ne transmet la parole de Dieu ; il est la Parole de Dieu. Il est maître du sabbat (Mc 2:28) ; il est maitre des éléments, capable de calmer la tempête (Mc 4:41).  Même les démons reconnaissent son autorité   (Mt 12:28).  Il finit par dire que toute autorité lui a été donnée au ciel et sur la terre (Mt 28:18).

Il est Seigneur mais il est serviteur aussi, et se met à laver les pieds de ses disciples (Jn 13 : 1s). Jésus qui est roi aura le front ceint d’une couronne d’épines. C’est précisément parce qu’il prend la condition d’esclave que tout genou fléchira devant lui. (Ph 2:5-11).

Il accorde cette maitrise à ses disciples. « Qui vous écoute m’écoute. » (Lc 10:16).  Ils sont commandés de servir (Lc 22:26) mais en même temps ils n’ont pas peur d’user de leur prérogative en excommuniant les membres indignes de la communauté (I Co 5:4s). Ils siègeront sur douze trônes pour juger les douze tribus d’Israël ; ils seront juges aussi de tout ce qui existe.

« L’homme spirituel, au contraire, juge de tout et n’est lui-même jugé par personne. Car qui a connu la pensée du Seigneur pour l’instruire? Or nous, nous avons la pensée du Christ. »(1 Co 2 :15-16)

C’est avec le Christ que les chrétiens sont héritiers du royaume. Ils ne sont plus esclaves mais maîtres, enfants de Dieu et donc héritiers du royaume avec le Christ.

« Vous n’avez pas reçu un esprit qui vous rende esclaves et vous ramène à la peur, mais un Esprit qui fait de vous des fils adoptifs et par lequel nous crions: Abba, Père. Cet Esprit lui-même atteste à notre esprit que nous sommes enfants de Dieu. Enfants, et donc héritiers: héritiers de Dieu, cohéritiers de Christ, puisque, ayant part à ses souffrances, nous aurons part aussi à sa gloire.(Rm 8 :15-17)

 

2. Approches

a. par le corps

A l’occasion de la profession solennelle, le confirmand déclare le credo baptismal. De sa gorge, du cinquième chakra,  sort la proclamation de sa foi en Dieu, le Père, le Fils et le Saint Esprit, et en Église. L’évêque invoque alors sur le confirmand les dons de l’Esprit, les dons du roi davidique, « esprit de sagesse et de discernement, esprit de conseil et de vaillance, esprit de connaissance et de crainte du Seigneur ». L’évêque lui marque le front, le sixième chakra, avec le saint-chrême en disant, « Sois marqué de l’Esprit Saint, le don de Dieu. »

Dans le passé, mais qui ne se fait plus,  l’évêque lui frappait légèrement la joue, geste qui rappelait l’instant où un maitre, en accordant à son esclave la liberté, le frappait une dernière fois, geste symbolique de son affranchissement. L’esclave était désormais homme libre.

Le saint-chrême est fait de l’huile d’olive, de cet arbre qui pour les anciens semblait immortel, car l’olivier ne meurt pas sans qu’on l’abatte ou le brûle. A Jérusalem, au Jardin de Oliviers où Jésus fut trahi, il y a des oliviers vieux de presque mille ans qui continuent à produire des récoltes impressionnantes. On se servait de l’huile d‘olive pour les lampes, comme médicament aussi et une bonne source de nourriture. Pour les anciens l’huile d’olive représentait la bénédiction de Dieu, et on s’en servait pour oindre les rois, les prophètes et les prêtres. Ce saint-chrême contient l’essence de romarin et de baume. Le romarin dont on se servait dans le passé comme médicament et signe de commémoration symbolise l’immortalité. Le baume, dont on se servait pour les blessures, signifie ce qui pallie les souffrances.

L’évêque, en se servant du saint-chrême richement symbolique, accorde les dons de l’Esprit qui libère, habilite, guérit, soulage et fait vivre éternellement, l’Esprit qui commande au récipient de faire de même. Le confirmé se rend compte alors de sa dignité personnelle et s’apaise. Il n’est plus esclave de personne ; il suit les inspirations de la sagesse.

Ces rites illuminent le sens de ce chakra. Si le baptême représente l’ensevelissement avec le Christ dans l’espoir de la résurrection (Rm 6 :4), la confirmation est la Pentecôte personnelle qui accorde liberté, autorité et dignité. L’Esprit Saint lui est accordé en toute plénitude.

Tous ces signes sont faits sur le front parce que l’Église reconnaît la valeur de ce chakra. Les enseignements du Ṣaṭcakranirūpaṇa aident à la discerner plus clairement. Et vice versa, le symbolique du sacrement fait voir le sens du centre ājñā. C’est un enrichissement mutuel.

On est recommandé de commencer la méditation sur les chakras par la méditation sur le sixième chakra, car la sagesse est le plus capable de bien guider la montée de la kuṇḍalinī.

Le courants iḍā et piṅgalā qui surgissent du premier chakra se réunissent ici au sixième chakra pour s’unir avec le canal central. Tous les pouvoirs se convergent.

Le méditant a le sentiment donc d’être scellé, stable, habilité. Il sait que ce point vierge symbolise l’origine du monde et de tous les chakras. Il est conscient qu’il est auteur du monde du fait qu’il s’identifie avec le Christ par qui et pour qui tout existe. Il se plait à contempler l’autorité qui est sienne. St Jacques invite le chrétien à pencher « sur une loi parfaite, celle de la liberté» (Jc 1 :25). Toutefois cette liberté est exigeante, bien plus que l’esclavage de la loi. Pour rester libre il faut se détacher des peurs et des ambitions, des ressentiments et des lâchetés. Il faut abandonner les fantaisies et suivre les inspirations de la sagesse. Il faut devenir actif et savoir commander, d’une façon non pas autoritaire mais humble, rassurée et éveillée.

b.       par l’imaginaire 

Le chrétien pourrait se rappeler l’instant où l’évêque lui a touché le front avec le saint-chrême. Il pourrait imaginer son parfum de romarin et de baume. Il pourrait imaginer l’huile sur le front, dont les reflets rappellent le rayonnement du lotus mentionné dans le Ṣaṭcakranirūpaṇa, ce rayonnement qui rappelle les langues de feu de l’Esprit sur la tête de chaque disciple le jour de la Pentecôte. Il pourrait imaginer le souffle de l’Esprit qui le perce entre les sourcilles et de cette façon il fait revivre l’instant où il a reçu les dons de l’Esprit, instant comparable au sacre d’un roi.

Très souvent les mosaïques byzantines représentent le Christ Pantocrator avec deux mèches de cheveux qui signalent ce chakra. Le chrétien pourrait s’imaginer comme le Pantocrator, car, comme dit S. Paul, le Christ viendra « pour le rendre semblable à son corps de gloire, avec la force qui le rend capable aussi de tout soumettre à son pouvoir ». (Ph 3 :21)

Il n’est pas question de se recroqueviller par peur de se vanter. Ces points de vue sont parfaitement conformes à l’enseignement traditionnel qui proclame que les chrétiens sont « héritiers de Dieu, cohéritiers de Christ, puisque, ayant part à ses souffrances, ils auront part aussi à sa gloire. » (Rm8.17)

Le méditant se tient parfaitement équilibré ; extroverti car il jouit des dons du roi davidique ; introverti car il jouit de la sagesse divine. Il s’imagine comme la bascule dont la flèche est parfaitement verticale et tournée vers le haut, prêt à recevoir la clarté des mille lotus qui viendra se fondre sur lui pour le transfigurer.

c.       par le souffle

Le cinquième chakra se concentrait sur l’haleine qui entre et sort par la gorge. Dans ce sixième chakra il s’agit du souffle aussi, mais il est plus que la respiration physique. Il peut être perçu comme si l’air, au lieu d’entrer et de sortir par les narines, passait par ce point dont les nerfs relient l’haleine du nez avec le front.

Les courants iḍā et piṅgalā se rencontrent là, s’unissent et se renforcent.  Ils ne s’éliminent pas. Le souffle devient d’autant plus puissant quand ces énergies se rejoignent et s’unissent. Le méditant respire normalement mais en même temps il sent le souffle pénétrer au centre de la crane d’une façon surprenante. Et c’est de là encore que le souffle se propage vers l’extérieur. Il comme l’air du soufflet qui fait flamber le charbon.

C’est par la force du souffle que le gourou commande le disciple et c’est par la force de ce même souffle que le disciple reconnaisse la valeur de la commande et s’y soumet.  Il renforce le sentiment de sa propre autorité s’accroit en se concentrant sur ce chakra.

Le saint chrême est posé sur le front; l’Esprit entre dans le corps entier. En se concentrent sur ce lieu on a le sentiment que l’Esprit entre e t sort comme par une fente. Cela peut se faire pour tous les chakras mais c’est dans l’ājñā que ce sentiment est le plus fort. Il y un sentiment d’animation, de rafraichissement, et d’euphorie. C’est l’expérience de l’Esprit qui « assouplit ce qui est raide, et qui réchauffe ce est froid ». (Cantique, Viens, Esprit Saint) C’est l’expérience de l’Esprit qui réunit. « Nous avons tous été baptisés dans un seul Esprit en un seul corps, Juifs ou Grecs, esclaves ou hommes libres, et nous avons tous été abreuvés d’un seul Esprit. » (1 Co12 :13)L’antagonisme entre les religions et entre les classes sociales prend fin. Toutes ces forces contraires et souvent hostiles se réconcilient en Christ Jésus.  Elles se mettent en valeur. Le méditant s’attarde sur le sentiment de tout réconcilier par ce même Souffle divin qu’il respire.

d.       par le mantra

Le mantra signalé par le Ṣaṭcakranirūpaṇa est le AUṀ, le son primordial, dont le monde entier constitue la résonance. De part ce mantra, l’ājñā régit tout ce qui existe. La commande est universelle et sans limites.

Le mantra sort du silence et reconduit au silence car il est la forme audible de ce qui dépasse tous les sens. Avec l’autorité qui est sienne, le méditant prononce son mantra pour manifester le silence infini, et puis il le laisse repartir au-delà de tous les mots, plans et pensées pour arriver au transmental, le domaine du sahasrāra. Et il repart avec lui dans le silence qui est la plénitude de la parole.

Le mantra, il faut bien le répéter, n’est pas seulement un moyen d’apaiser le flux constant du mental. Il est aussi un instrument. Il est non seulement l’expression de la divinité, mais il en possède tous les pouvoirs. Il est un mot d’ordre, une commande. Il purifie tous les mots ; il est la parole de vérité qui conduit au bien tout ce qui est défectueux. N’importe le mantra, n’importe son origine pourvu qu’il soit l’expression de la divinité, il crée et fait croitre. C’est parce le mantra est doué d’autorité, mot qui vient du latin augere, ‘faire croitre’.   Le récitant du mantra en ressent la force qui recrée tout ce qui l’entoure.

Cette puissance est bien plus que législative, chose convenue parmi les citoyens ; elle est personnelle et divine. Elle n’est pas ‘voulue’ à cause d’une volonté purement humaine; elle est inspirée. Le récitant apprécie la dimension divine de son mantra et son autorité n’est jamais cette mainmise qui affaiblit ; elle apporte une richesse, et fait apparaitre les richesses des autres.

Le mantra, ce mot ou phrase qui est infiniment cher, qui en quelque sort exprime tout ce qu’on est, fait résonner l’Esprit dans l’âme du chrétien à cause du lien étroit entre le Verbe et l’Esprit. Le Verbe n’existe pas sans l’Esprit, et l’Esprit n’existe pas sans le Verbe. Le Verbe communique l’Esprit et en même temps l’Esprit inspire le Verbe, éternellement. Le Souffle divin anime le Mantra divin.

Il sait que ce même l’Esprit éveille en lui le mantra tout comme l’ombre du l’Esprit a couvert la Vierge Marie pour que le Verbe éternel soit incarné en ses entrailles. Sans l’Esprit son mantra est ‘lettre morte’.

Le chrétien s’identifie à Jésus, le Mantra de Dieu. Le Christ est donc présent en le mantra personnel du récitant qui se revêt de sa liberté. Il n’est plus sujet à la loi et ses lettres. Il est libre ; sa loi est la liberté, intelligente et bien avisée, qui sait bénir ce qui est juste et n’a pas peur de maudire ce qui ne l’est pas. Son mantra est à la fois bénédiction et malédiction. Il sait maudire aussi bien que bénir, car il faut maudire ce qui est injuste et bénir ce qui est conforme au bien. Le méditant n’a pas peur. Il se sent rassuré, il connait la sagesse de ses remarques. Il sait quand il faut parler et quand il faut se taire.

 

 3. Bénédictions

a. du prochain

Toutes les énergies se convergent sur ce point, les énergies masculine et féminine, les courants iḍā et piṅgalā,la kuṇḍalinī du canal central, l’introversion et l’extroversion, le clair et le sombre de la vie, le son primordial d’où provient toute la création, et puis tous les dons de l’Esprit et le Saint Esprit lui-même, en même temps que les traditions et l’autorité de l’Église.  Tous se convergent sur ce point sans dimension et lui confèrent une puissance, celle du roi davidique destinée à faire venir le royaume des cieux sur terre.

Devenant plus sensible à ce chakra, le méditant en ressent la convergence. Il se rend compte de son autonomie car sa liberté et la liberté de l’Esprit coïncident. Sensible au symbolisme des pétales blancs et du centre transparent du lotus sans taches et sans obstacles, il est conscient de la pureté de ses facultés de volonté de connaissance et d’action qui s’ouvrent les unes aux autres. Il fait ce qu’il veut et il veut ce qu’il fait ; il sait ce qu’il veut et il sait ce qu’il fait. Trop souvent auparavant, il ne savait pas quoi faire et ne voulait pas faire ce qu’il faisait ; il partageait l’état d’âme dont S. Paul se plaint. « …le bien que je veux, je ne le fais pas et le mal que je ne veux pas, je le fais. … Malheureux homme que je suis! Qui me délivrera de ce corps qui appartient à la mort? » (Rm 7:19, 24.) Illuminé par la foi le chrétien est autorisé de tout juger, de juger de la valeur spirituelle de tout ce qui se présente. C’est une autorité prestigieuse et dangereuse.

Les énergies se convergent sur ce chakra, et elles en repartent ranimées. C’est un échange délicieux.  Tout naturellement le méditant pleinement éveillé répand de nouveau ces énergie bienfaitrices, car sa souveraineté est universelle. Il bénit tous les chakras qui se réveillent encore d’avantage. Cet éveil d’énergies jusqu’à présent endormies conduit de nouveau à ce point vierge qui de nouveau se répand dans les chakras. C’est un cycle, une vibration continuelle.

Les sensations ordinaires, qui sont déjà difficilement discernables et que le méditant découvre en méditant sur les chakras,  deviennent de plus en plus subtiles. C’est parce que l’emprise du sixième chakra et la puissance de l’Esprit animent tous les chakras d’avantage.  Les chakras ne sont pas seulement un système nerveux ; ils sont animés par le mouvement de l’Esprit. Ainsi, la sensation de stabilité au premier chakra devient plus solide car elle est fondée sur la commande de l’Esprit que rien ne peut contrarier. Le deuxième chakra, celui de la génération, devient encore plus imaginatif car le méditant se sent d’avantage commandé d’être « fécond et prolifique » (cf. Gn1.28) Sous l’emprise de la sagesse dans le troisième chakra le méditant perçoit plus clairement la route qui s’ouvre devant lui.  Le courage l’Esprit vient embraser le cœur au quatrième chakra, et l’engagement devient encore plus ferme. Dans le cinquième cakra, la proclamation et la louange deviennent encore plus authentiques et prononcées. Toutes ces énergies accrues viennent se verser dans le sixième chakra. Ce va et vent grandit incessamment. C’est une circulation, un tournoiement, une spirale qui monte et se raffermit, pour devenir un point à la fois complètement calme et pleinement actif comme la toupie qui se tient debout sans se déplacer précisément parce qu’il tourne rapidement. On trouve à la fois la remontée le long des chakras et suivant l’adage hésychaste « la descente de l’esprit au fond du cœur ». Ce n’est pas un statisme mais un dynamisme continu.

L’ouverture des chakras permet une perception encore plus lucide du monde, car le chakra qui s’ouvert en lui-même s’ouvre au monde plus aussi. L’introversion et l’extroversion se renforcent. Il y a donc à la fois un élargissement d’ouverture, unité et lucidité à chaque niveau de la personne.

Le réveil de ce chakra implique un partage de soi avec les autres. L’expert en ājñā discerne ce dont le prochain a besoin. Il rend service donc ; il bénit selon le besoin et le vouloir de l’autre. La commande n’est pas un apprivoisement, mais une libération. La liberté se communique ; elle ne s’impose pas.

Le méditant qui apprécie sa propre autorité apprécie l’autorité des autres. Ils se soumettent l’un à l’autre librement de sorte que leur liberté grandit et se communique encore plus. C’est une rencontre entre personnes libres. Ils sont encore plus prudents et humbles, et leur bénédiction mutuelle devient un dialogue.

Cette énergie de la commande n’a pas peur d’entrer dans les endroits à la fois sombres et splendides: dans les succès et les péchés, dans les horreurs et la beauté, dans les bonheurs et les malheurs de tout le monde. Jésus ne craint pas de se faire homme et de se faire crucifier. Le méditant de même, qui apprécie la puissance qui est sienne, ne craint pas de se mêler à tout ce qui est hostile à la bénédiction qu’il vient offrir. De fait il est lui-même une bénédiction. Il a le sentiment de sa propre valeur, non pas par vantardise mais par une perception franche et lucide.  Il est à l’aise partout. Il répand sur la terre un « règne de vie et de vérité, règne de grâce et de sainteté, règne de justice, d’amour et de paix. » (Préface de Christ Roi de l’Univers)

b.       de Dieu

Dans le cinquième chakra il s’agit de bénir Dieu par les paroles et de proclamer son nom par toute la terre. Selon Diadoque de Photicé (c. 400-486) celui qui a contemplé la gloire de Dieu se sent inspirée de la proclamer. Le méditant ne peut pas se taire. S’il ne chantait pas la louange du Seigneur  « ce sont les pierres qui crieront». (Lc19 :40)

Les mots sont nécessaires mais insuffisants.Ils préparent à la glorification de Dieu au-delà des mots, dans le sixième chakra.  Il s’agit de bénir Dieu dans le silence. La prière devient essentielle, dans l’essence de l’être. Dieu est la Source, … le lieu de la vraie prière (cf. Tauler, Sermon 24).

Le méditant, de par la puissance qui lui est accordée, transfigure ce qui est matériel et limité. Grégoire Palamas le dit : « Nous verrons alors distinctement, par nos organes corporels mêmes, la lumière divine et inaccessible. » (Défense des saint hésychastes, I, 3, 37) Et en devenant plus pleinement ce qu’il capable d’être, le méditant perçoit plus clairement Celui Qui Est. L’ouverture des chakras continue jusqu’à ce qu’il n’y ait rien qui puisse empêcher la connaissance du mystère divin.

L’homme étant divinisé par la montée de la kuṇḍalinī, Dieu devient manifeste. S. Irénée de Lyons (130-202 CE) l’a dit il y a bien longtemps. « La gloire de Dieu c’est l’homme vivant ; la vie de l’homme, c’est de contempler Dieu. » (Adversus Haereses. Livre4, 20:7.) Dieu se révèle dans l’homme glorifié et l’homme glorifié révèle Dieu. L’être humain devient le lieu saint. Il n’est plus nécessaire de visiter les temples ; le chrétien véridique devient l’objet de contemplation. C’est pour cela qu’on veut rendre visite aux moines dans le silence du monastère. On veut contempler en eux la présence de Celui qui les dépasse.

Le méditant est bien sensible à ce qui se passe en lui ; il sait en parler, mais il n’en a pas besoin. Il reste tranquille, pleinement conscient. Tout comme les énergies se ramassent dans le point sans dimensions, les mots de la louange se résument dans le silence. Le méditant ressent la montée de la grâce en lui-même tout comme il reconnaît l’histoire du salut du monde. Il y voit la main de Dieu et le glorifie, non par les mots mais par un recueillement ineffable. Le mouvement est réciproque; la vie divine se verse dans la vie humaine et la vie humaine se verse dans la vie divine. Le méditant est présent à la Présence.

Les symboles sont plus capables que les mots de révéler la gloire de Dieu. Le méditant se laisse alors devenir un symbole pour que Dieu soit pleinement connu, alors qu’il reconnait en même temps que le symbole le plus complet est le corps crucifié de Jésus qui manifeste au monde la sagesse de Dieu, la folie de la croix.

Ce n’est pas seulement dans la solitude de sa méditation mais aussi dans son comportement de tous les jours et sa joie, sa soif de la justice, et sa bienveillance, sa paix et son énergie que le chrétien glorifie Dieu. Malgré les péchés et les malheurs, tout le problème du mal, il reconnaît Dieu comme ‘saint, saint, saint’ (Is 6 :3). Il sait que Dieu fait preuve de sa toute-puissance en transformant le mal en le lieu même de la grâce. Le péché cesse d’être transgression et devient moyen de salut.

Nous venons à la fin du périple des six chakras. C’est des profondeurs inconnues que le premier chakra s’est manifesté. C’est dans le plus haute des cieux que le sixième va conduire. Tout est prêt maintenant. Le canal central ne s’arrête pas mais continue jusqu’au sommet de la tête où le lotus à mille pétales se déferle. Parfaitement concentré comme sur un point vierge, le méditant va connaitre ce lieu qui n’est pas un chakra mais qui est la source de tous les chakras,  le sahasrāra, cette plénitude en qui dès le début« nous avons la vie, le mouvement et l’être ». (Ac 17 :28)

 

LA PLENITUDE              (sahasrāra)

1. Appuis

a. Le traité Ṣaṭcakranirūpaṇa

Le mot sahasrārasignifie ‘mille’ (sahasrāra), ‘rayons’ (ara).  La forme iconographique présente le sommet de la tête enveloppé de mille pétales de lotus. Alors que les chakras ont 4 ou au plus 16 pétales, le sahasrāraen a mille, c’est-à-dire d’innombrables. Le sahasrāra signifie donc la plénitude infinie. Il n’est pas un chakra, car il n’est pas une étape ; il représente l’éveil sans bornes à la fin de la montée de la kuṇḍalinī.

Le sixième chakra jouit d’une autorité sur tous les chakras. Or, entre l’ājñā et le sahasrāra se trouve le bindu, mot qui signifie ‘point’ ou ‘gouttelette’.  Il n’est pas un chakra qui tourne mais un arrêt. Le Ṣaṭcakranirūpaṇa le dénomme ‘lieu de la dissolution’. C’est dans le binduque tout se rétrécit dans l’acte d’absorption, et c’est dubinduque tout émane, en premier lieu le AUṀqui est à l’origine de tous les mondes. Le ‘point’ de rétrécissement est le prélude à l’éclosion du lotus à mille pétales.

Les versets 41-49 du Ṣaṭcakranirūpaṇa qui concernent le sahasrāra sont complexes et touffus ; les quelques éléments suivants semblent les plus importants pour notre sujet.

La forme du sixième chakra est la pleine lune, mais la lune qui se trouve dans le sahasrāraest encore plus brillante. Sa clarté est celle du soleil levant, soleil qui détruit toutes les ignorances et toutes les illusions.  L’élixir rafraichissant qui descend de cette lune abreuve le méditant et lui confère l’immortalité.

Dans cette lune se trouve un triangle qui fulgure sans arrêt comme un éclair. Il n’est tourné ni vers le haut ni vers le bas. C’est parce que l’énergie ne se dissipe plus, comme quand le triangle est tourné vers le bas, ni en voie de développement comme quand le triangle est tourné vers le haut. L’énergie est stable et pleinement épanouie.

Au centre de ce triangle se trouve le grand vide dont les moyeux au centre de chaque chakra sont un faible reflet, une participation limitée. Ce grand vide n’est pas le néant mais l’infini ineffable.

Si dans le premier chakra le serpent restait endormi autour du pilier, dans le sahasrārale dieu et la déesse sont pleinement éveillés. Ils expérimentent la béatitude sans défaillance et la liberté sans bornes de leur union.

Le sommet est atteint, mais les chakras ne sont pas abandonnés. Les six chakras conduisent au sommet alors que la lumière des mille pétales rayonne vers le bas, car il y a un va et vient constant.

L’intégrité s’installe chez le yogin. Toute forme de désaccord disparaît, et la paix s’étend sur tout ce qui l’entoure.

b. La Bible

Le Ṣaṭcakranirūpaṇa parle du ‘lieu de la dissolution’, le bindu, qui n’est pas un anéantissement mais un arrêt au seuil de l’éclosion du sahasrāra. Il signifie la disponibilité et l’attente sans préconditions. Cet arrêt fait penser au thème du sommeil, sujet important dans la tradition biblique car il précède la révélation divine.

Prenons par exemple Adam, maitre des arbres et des animaux. « Le Seigneur Dieu le fit tomber dans une torpeur » (Gn 2 :21). C’est alors que Dieu crée la femme, son chef d’œuvre. En la voyant, Adam s’écrie ‘enfin’. Ève le comble ; elle est le chef-d’œuvre de Dieu. Lorsque Abram, de sa part, offre le sacrifice que Dieu lui demande, « une torpeur [le] saisit », torpeur qui est le prélude à la promesse, car le texte continue : « En ce jour, le Seigneur conclut une alliance avec Abram en ces termes : « C’est à ta descendance que je donne ce pays, du fleuve d’Égypte au grand fleuve, le fleuve Euphrate» (Gn 15 :12, 18).Moïse quitte le scintillement de l’Égypte et connaît Dieu, le ‘Je Suis’, lorsqu’il s’approche du buisson ardent en bas de la montagne. Mais c’est en entrant dans le nuage au sommet qu’il connaît Dieu suprêmement, au-delà de toute compréhension. Et encore, lorsque l’arche de l’alliance est installée dans le temple nouvellement construit, la nuée divine le remplit de sorte que « les prêtres ne pouvaient pas s’y tenir pour leur service » et Salomon s’exclame alors que « Le Seigneur a dit vouloir séjourner dans l’obscurité ! » (1 R 8 :11-12)

La nuée, comme les sommeils, signifie l’abandon des actes, des pensées et des images, le dépassement de la volonté et de l’intellection humaines. Rien ne fait obstacle à la révélation divine. Également, la nuée signifie que c’est la révélation divine obnubile les capacités humaines.

Dans le Nouveau Testament, les disciples sommeillent sur la sainte montagne car leurs facultés humaines sont incapables de supporter la gloire de Jésus transfiguré. Leur sommeil n’est pas le résultat de la fatigue physique mais une réaction à la splendeur éblouissante de leur maitre.  Jésus lui-même repose dans le sommeil de la mort en attendant sa glorification le jour de Pâques.

Le Ṣaṭcakranirūpaṇa, après avoir décrit le bindu, se met à décrire la plénitude du sahasrāra.  Il s’agit donc de parler maintenant de la splendeur.

La lumière est le premier œuvre de Dieu (Gn 1 :3) mais elle est infiniment dépassée par la lumière du paradis céleste qui est le rayonnement de Dieu lui-même.

Il n’y aura plus de nuit, nul n’aura besoin de la lumière du flambeau ni de la lumière du soleil, car le Seigneur Dieu répandra sur eux sa lumière, et ils régneront aux siècles des siècles. (Ap 22 :5)

Le Nouveau Testament, et surtout S. Paul, parle de la plénitude de Jésus, de son plérôme. Jésus en sa propre personne jouit de la plénitude de la nature divine. « Car il a plu à Dieu de faire habiter en lui toute la plénitude (πλήρωμα)» (Col 1 :19). S. Paul insiste que cette plénitude ne soit pas une illusion et qu’elle se manifeste dans la chair de Jésus, « corporellement » (Col 2 :9).

Jésus, le Verbe, devenu chair plait à Dieu. Alors qu’il sort des eaux du Jourdain, « des cieux vint une voix : ‘Tu es mon Fils bien-aimé, il m’a plu de te choisir’ (εὐδόκησα) ». (Mc 1 :11) Ce mot  εὐδόκησαrevient dans Mt 3 :17 et Lc 3:22 dans le contexte du baptême et dans Mt 17:5 dans l’épisode de la transfiguration  qui est mentionné de nouveau en 2 P 1:17. Il  signifie que Dieu se plait en Jésus.  Sur la rive et sur la montagne il y a proclamation et plaisir.  Dieu proclame son plaisir et se plait à proclamer son plaisir.  Dieu qui est lumière est aussi Dieu qui est plaisir.

Jésus la tête de l’Église transmet sa plénitude à son corps (Eph 1 :22-23), et elle serapleinement transmise lorsque l’Église aura atteint « à la taille du Christ dans sa plénitude » (Eph 4 :13).Cette plénitude qui a déjà commencé dans « l’accomplissement du temps » avec la venue du Christ (Ga 4 :4) sera achevée lors de cet autre « accomplissement du temps » quand Dieu réunira « sous un seul chef, le Christ, ce qui est dans les cieux et ce qui est sur la terre » (Eph 1 :10). Cette transmission accorde aux hommes la participation à la nature divine, ou comme dit S. Pierre la « communion avec la nature divine » (2 P 1 :4)

Cette participation existe déjà mais inconsciemment. Selon S. Jean,

« Mes bien-aimés, dès à présent nous sommes enfants de Dieu, mais ce que nous serons n’a pas encore été manifesté. Nous savons que, lorsqu’il paraîtra, nous lui serons semblables, puisque nous le verrons tel qu’il est. »(1 Jn 3 :2)

C’est à la fin, lors de l’avènement de Jésus qu’il y aura à la fois éveil complet et divinisation plénière.

2. Approches

a. par le corps

La fidélité à la pratique continue mais l’attention du méditant se déplace et il ‘sommeille’. C’est-à-dire que son attention n’est plus prise par les éléments de sa pratique mais par ce qui les dépasse. Il est épris intensément, corps et âme ; il est obnubilé ; il entre dans le silence. C’est l’entrée dans le ‘nuage de l’inconnaissance’, non pas dans un sommeil physique mais dans le repos spirituel. C’est l’enfoncement de plus en plus dans le domaine de la foi qui ne dépends pas seulement d’observations et de raisonnements, mais qui est surtout la connaissance des choses invisibles. L’enfoncement va jusque dans le tréfonds de l’âme pour y découvrir le tréfonds de l’Esprit qui « sonde tout, même les profondeurs de Dieu » (1 Co 2. :10).

Cette cessation est le prélude à l’arrivée spontanée de la grâce. La spontanéité fait partie essentielle de l’éveil progressif. La surprise indique que d’autres forces entrent en jeu. Le dévoilement vient de plus profond et de plus haut que le soi. Il est un don, ce qui inspire un sentiment de reconnaissance et d’action de grâce.

L’expérience de la grâce divine refaçonne. C’est la renaissance d’en haut. (Jn 3 :3, 7). Il se peut qu’il y ait des effets sensibles :  l’haleine est coupée, la bouche est bée, il y a un hoc léger au cœur. De sa pat, le mental cesse lors de ce moment d’émerveillement. Également toutes les facultés se sensibilisent à tel point que les yeux de chair deviennent capables de voir la gloire transcendante, effet étonnant mais expliqué par Grégoire Palamas qui dit,

« Avec la victoire de l’esprit, leur corps deviendra tellement subtil qu’il … ne s’opposera plus aux énergies intellectuelles. C’est pourquoi, ils jouiront de la lumière divine avec leurs sens corporels eux-mêmes. »[46]

Ce n’est pas le quiétisme ; il y a la synergie. Les facultés humaines sont disposées à l’illumination de l’Esprit qui les transforme. Le méditant pourrait s’écrier comme S. Paul « je vis, mais ce n’est plus moi, mais le Christ qui vit en moi.» (Ga 2 :20). Cela ne signifie pas que le méditant lui-même est ‘annulé’ et que tout ce qu’il a fait ne compte plus. Le Christ s’incarne dans l’humanité et l’humanité se revêt du Christ. Il y a identité mutuelle.

L’épaisseur et la lourdeur de la matière disparaissent. La chair reste mais elle est transformée, comme dit S. Paul,

« Il en est ainsi pour la résurrection des morts : semé corruptible, on ressuscite incorruptible ; semé méprisable, on ressuscite dans la gloire ; semé dans la faiblesse, on ressuscite plein de force ; semé corps animal, on ressuscite corps spirituel. »(1 Co 15 :42-44)

Et cette transfiguration est l’œuvre du Christ. S. Paul continue, « C’est ainsi qu’il est écrit : le premier homme Adam fut un être animal doué de vie, le dernier Adam est un être spirituel donnant la vie. »  (1 Co 15 :45)

La méditation sur les chakras même chez le plus doué reste un travail faible et préliminaire mais elle est quand même une participation à l’acte de ressusciter.

Le méditant parvient finalement à ressentir les prémices de sa résurrection et de son immortalité. Ce sentiment qui commence à apparaître pendant la méditation sur le premier chakra devient ici de plus en plus évident. C’est parce le Christ qui est la tête fait sentir sa plénitude dans tout son corps. C’est l’Église entière aussi qui participe à ce travail, car les cohéritiers du Christ prennent part à son travail. Ce sentiment de plénitude qui s’accroit de plus en plus se déverse sur le corps entier qui devient joyeux et paisible, confiant et à l’aise. Les effets physiques sont considérables. C’est le début de la transfiguration.

b. par l’imaginaire

La méditation sur les chakras se sert de tel ou tel image pour développer l’expérience, mais le bindu du Ṣaṭcakranirūpaṇa et le ‘sommeil’ biblique sont dépourvus d’images, car ceux-ci représentent des formes particulières qu’il faut dépasser. Cette entrée dans les ténèbres où l’imagination cesse de fonctionner est un prélude à

« ce que l’œil n’a pas vu, ce que l’oreille n’a pas entendu, et ce qui n’est pas monté au cœur de l’homme, tout ce que Dieu a préparé pour ceux qui l’aiment. »(1 Cor 2 :9)

Le méditant ressemble à un miroir sans taches.  Précisément de ce fait il est capable recevoir toutes les images, que ce soit l’image d’une fleur toute proche ou d’une étoile au fond du ciel. Ce manque d’images va de pair avec la plénitude de l’imaginaire. De fait en cessant de se concentrer sur les images il est capable de recevoir toutes les images.  Il commence à ressentir qu’il incarne toutes les richesses imaginables. Son esprit s’élargit et reçoit le monde entier.

Il se peut, néanmoins, que le méditant se met, spontanément et sans nécessité, à imaginer les anges de Dieu, par exemple, descendre et monter le long des chakras, comme dans le rêve de Jacob à Bethel (Gn 28 :12) évènement que Jésus rappelle à son propre sujet, « vous verrez le ciel ouvert et les anges de Dieu monter et descendre au-dessus du Fils de l’homme ». (Jn1.51)

Cela est vrai de Jésus lui-même. S. Paul s’écrie. « Il est monté ! Qu’est-ce à dire, sinon qu’il est aussi descendu jusqu’en bas sur la terre ? Celui qui est descendu, est aussi celui qui est monté plus haut que tous les cieux, afin de remplir l’univers. (Eph 4 :9-10).

C’est un flux continu, un échange sans arrêt, un cycle et un renouveau constant du ciel et de la terre qui se reproduit chez le méditant. De fait, il y a un va et vient continuel du sommet jusqu’à la base de l’échine et vice versa. C’est une vibration entre le ciel et la terre.

Le méditant pourrait également s’imaginer la tête entourée de l’auréole comparable au lotus lumineux du sahasrāra. C’est l’auréole de la sainteté car le méditant en dépit de ses manquements est doué de l’Esprit Saint et s’identifie à Jésus le Saint de Dieu (Jn 6 :69).

c. par le souffle

Selon le Ṣaṭcakranirūpaṇa la kuṇḍalinī, le serpent ‘à un seul pied’, se lève tout droit et déverse son ambroisie, l’élixir de la vie.

Jésus promet que « de son sein couleront des fleuves d’eau vive » (Jn 7 :38), c’est-à-dire l’Esprit qu’il va accorder à « ceux qui croient en lui » (Jn 7 :39). Et c’est le jour de Pâques qu’il « souffla sur eux et leur dit : ‘Recevez l’Esprit Saint’ », leur accordant la plénitude du pouvoir spirituel, la capacité de retenir ou de remettre les péchés (Jn 20 :23).

C’est dans le silence et la paix de la méditation que le Souffle divin peut être ressenti.   Le méditant ne cesse pas d’être chair, mais au fur et à mesure que l’Esprit transforme son souffle humain, il ressent qu’il devient esprit car « ce qui est né de l’Esprit est esprit » (Jn 3 :6). La légèreté et la souplesse de l’Esprit lui sont communiquées tout comme la vivacité qu’on peut rapprocher de l’élixir de la vie déversé par le serpent ‘à un seul pied’, qui se lève tout droit. La puissance de l’Esprit surgit que rien ne peut résister ; les symboles bibliques de cet Esprit sont les éléments impératifs de la nature : le vent, l’eau, et le feu.

Les troubles personnels et les contraintes oppressives cessent de paralyser l’esprit. Il y a un sentiment de liberté, et dans cette liberté la liberté divine est reconnue. « Car le Seigneur est l’Esprit, et là où est l’Esprit du Seigneur, là est la liberté. » (2 Co 3 :17)Il y a souveraineté et autonomie. Le méditant fait ce qu’il veut ; il veut ce qu’il fait ; il sait ce qu’il fait ; il sait ce qu’il veut. De cette façon les puissances de son âme ne se contredisent plus mais se confirment.

Ce n’est pas le libertinage, il faut bien le redire, car la liberté personnelle promeut la liberté d’autrui. Le libertinage assujettit. La liberté affranchit. Le Seigneur tout-puissant accorde aux hommes leur liberté. L’exercice de la liberté humaine ouvre l’esprit à l’expérience de la liberté divine.

Cette découverte de la souveraineté personnelle se trouve exemplifiée chez S. Paul qui se plaignait « … ce que je veux, je ne le fais pas, mais ce que je hais, je le fais. … Malheureux homme que je suis ! Qui me délivrera de ce corps qui appartient à la mort ? » (Rm 7 :15, 24) Mais il s’écrie de joie du fait que le Christ le sauve de ses conflits intérieurs. « Grâce soit rendue à Dieu par Jésus Christ, notre Seigneur ! » (Rm 7 :25)

Le méditant sentira que le Souffle divin se répand dans tous les chakras et, comme un flûtiste, joue de la musique. Les chakras sont comme le chœur céleste qui ne chante pas à l’unisson mais en harmonie : les notes et les timbres, les accents et les pauses sont différents mais sont tous en rapport les uns avec les autres. Le souffle divinisé ressemble à l’aigle qui se plait à parcourir le ciel dans toutes les directions, montant lentement sur les airs ou se projetant comme un éclair vers son nid.

d. par le mantra

Au fur et à mesure que l’harmonie s’établit entre les chakras le ‘bruit intérieur’ disparaît, les questions cessent (v. Jn 16 :23) et le silence s’établit. Ce silence n’est pas l’absence du son, au contraire, il en est la plénitude. Comme dit le psalmiste : « Ce n’est pas un récit, il n’y a pas de mots, leur voix ne s’entend pas. Leur harmonie éclate sur toute la terre et leur langage jusqu’au bout du monde. » (Ps 19 :4-5)

C’est du silence divin que le Verbe émane pour se faire chair, et il reconduit l’auditeur dans ce silence. « Dieu le Père n’a dit qu’une parole, qui est son Fils, et il l’a dite dans un silence éternel ; l’âme doit aussi l’entendre dans un silence perpétuel. »[47]

L’acclamation de Dieu se fait ici, mais différemment. La louange de Dieu avec les mots fait place à l’adoration où les mots se taisent. Les chœurs célestes de l’Apocalypse (4 :8, 7 :12, 11 :17-18, 15 : 3-4 etc.) qui chantent les louanges de Dieu donnent une belle idée de la condition céleste. Tout aussi valable comme analogie est le silence qui s’installe vers la fin de l’Eucharistie, le silence de la communion avec Dieu et avec tous ceux qui ont pris part au sacrifice. Le silence s’installe alors car tout a été fait ; il ne reste plus rien à dire.

Au début le récitant était plus conscient du mot ou de la phase qu’il récitait, mais au fur et à mesure qu’il s’apaise en le récitant il entre dans le silence et c’est du silence qu’il est le plus conscient de sorte que le silence devient l’essence même de sa récitation, ce silence qui est la plénitude du Verbe. Il sentira que son mantra procède du silence qui existait avant même que Dieu ne dise « Que la lumière soit » (Gn 1 :3).

En somme le pratiquant commence à sentir la transfiguration de son corps ; l’imagination s’obscurcit et ressent l’immensité de Celui dont il n’y a pas d’image ; le souffle s’apaise et devient esprit ; son mantra se transforme en silence ; Transfiguration, immensité, esprit, silence: les limites font place à l’expérience de l’Indicible. Voilà la plénitude.

 

3. Bénédictions

a. du prochain

L’éveil progressif qui caractérise la montée de la kuṇḍalinīest parachevé lorsque le sommet est atteint. Le méditant devient pleinement conscient de ce qu’il est, de son histoire, et de son identité. En même temps, parce qu’il est transparent à lui-même il voit les autres sans illusion. Ses prochains cessent d’être quasiment invisibles ou distants. Il peut s’approcher de chacun d’entre eux et lui dire, en toute authenticité, ‘tu es mon propre soi’ et   ‘je te regarde sans peur et sans masques.’ Il y a distinction de personnes mais unité de cœur et d’âme.

Ce regard bienveillant envers l’autre révèle le regard bienveillant de Dieu. Et de même, l’expérience de la bienveillance divine inspire le regard bienveillant. Les regards inspirent les regards. Il y donc une multitude infinie de présences. Cette présence à tous est une bénédiction universelle.

De cette façon le pratiquant se trouve incarné en eux tout comme eux se trouvent incarnés en lui. Ils se découvrent en se partageant ; ils se nourrissent et se transforment mutuellement. L’échange est impeccable, sans l’ombre des malentendus. Le méditant prend plaisir en sa plénitude et en la plénitude des autres. Il s’émerveille et commence à ressentir ressent l’émerveillement de Dieu. Il participe au plaisir de Dieu.  Il reconnaît que Dieu est le Dieu du plaisir.

L’échange ne se finit pas. Le méditant devient capable d’entrer dans la tristesse du prochain, dans sa douleur et même son péché. Il est également capable de faire face à ses propres faiblesses car, possédant la plénitude de la lumière divine, il peut s’approcher de ce qui est impur. L’impur craint l’impur car il se salit encore plus en s’y associant. Le pur, par contraste, ne le craint pas car son regard le purifie.

Le méditant et ses prochains s’habitent et se réconfortent, ils s’animent et trouvent leur joie l’un dans l’autre, dans leurs histoires, émotions, et convictions. Tout cela se passe en silence, sans heurts ou bruit.  Le sourire se dessine sur leurs lèvres, celui de l’ange de Reims qui annonce la bonne nouvelle à Marie, ce sourire qui est signe de béatitude.

L’échange n’arrête jamais, car les échanges suscitent d’autres échanges. Ce que Grégoire de Nysse dit au sujet de l’élan vers Dieu

« Comme rien ne vient d’en-haut interrompre son élan … l’âme s’élève toujours davantage au-dessus d‘elle-même, « tendue » comme dit l’Apôtre [Phil 3 :13], et son vol la mènera toujours plus haut »[48]

peut s’appliquer au sujet de l’élan vers le prochain. La joie s’accroît constamment, l’émerveillement ne cesse jamais de grandir. Si un mystère se dévoile, c’est pour en révéler d’autres. Le mystère de Dieu et de l’homme est inépuisable.

En se rendant compte de cet échange spontané et aisé, le méditant perçoit, avec surprise peut-être, qu’il est en train d’adopter tout naturellement les qualités du Christ. Il expérimente en lui-même ce qui est dit de Jésus dans les évangiles.  Il ne dépend plus uniquement de ce que les autres ont raconté à ce sujet. Selon le prophète Jérémie, Dieu l’a promis :

« Je mettrai ma Loi au plus profond d’eux-mêmes ; je l’inscrirai dans leur cœur. … Ils n’auront plus besoin d’instruire chacun son compagnon, ni chacun son frère en disant : « Apprends à connaitre le Seigneur ! »  (Je 31 :33-34).

La personne de Jésus devient réelle, et en s’acceptant le pratiquant accepte celui à qui il commence à se ressembler, et sa foi se confirme.

Les pétales représentent la plénitude dans tous les sens et aussi le partage par tous les hommes de toutes les expériences humaines. C’est la communion universelle.   Ce partage permet aux participants de ressentir ce qui les dépasse, c’est-à-dire, le Vide infini.

b. de Dieu

Jésus n’est pas tout simplement paisible ; il fait plus que donner la paix à ses disciples : il est la paix. (Eph 2 :14) Jésus n’est pas seulement un homme en particulier. Pilate, en présentant Jésus à la foule, ne se sert pas des mots grecques pour désigner un homme ou une femme, mais ὁ ἄνθρωπος (Jn19 :5), mot qui désigne l’humanité, on pourrait dire l‘Homme : celui qui révèle le mystère humain, ses joies et ses douleurs, son histoire et son avenir.

Jésus révèle Dieu aussi. Il dit à ses disciples, « Celui qui m’a vu a vu le Père. » (Jn 14 :9) Dieu seul peut connaître Dieu pleinement. Seul celui qui est de même nature que le Père peut le révéler pleinement. Seul celui qui est de même nature que les hommes peut révéler Dieu pleinement aux hommes. C’est pour cela que la tradition chrétienne déclare que Jésus est Dieu-Homme. En voyant Jésus les disciples voient le Père ; en voyant Jésus ils voient tous les hommes.

Dieu n’est pas seulement aimant, il est amour. « Dieu est amour : qui demeure dans l’amour demeure en Dieu et Dieu demeure en lui. » (1 Jn 4 :16)

Le méditant se laisse prendre par l’amour qui constitue la forme de conscience la plus éveillée. Le méditant se laisse prendre par le Dieu qui est amour, et baigne dans cet amour. Mais aussi selon ce verset de S. Jean, au fur et à mesure que le méditant demeure dans l’amour, même s’il ne connaît pas Dieu, Dieu demeure en lui. Peut-être à la longue il ressentira plus intensément le Dieu qui se révèle doucement. L’amour découvre l’amour ; l’amour devient amour. L’homme aimant devient Dieu amour. C’est la divinisation.

La phrase de Athanase est bien connue, dont la traduction littérale est « il s’est humanisé pour que nous soyons divinisés ».[49]Larchet le dit bien, en parlant au sujet de Maximus le Confesseur (c. 580-662).

« L’homme devient véritablement dieu à tous égards. II perd les « marques » ou propriétés humaines pour acquérir les « mar­ques » divines, ce qui lui vaut d’être appelé à bon droit « dieu » et non plus « homme ».[50]

Si, sur le mont Tabor, le visage et les vêtements de Jésus sont transformé par la gloire qui est sienne, cette scène promet aux disciples qu’eux aussi seront transformés. Ils deviendront lumière. L’emprise de cette lumière est totale, de sorte qu’il n’y a plus de distinction entre celui qui perçoit, ce qui est perçu et les moyens de perception ; tout est n’est qu’un. Toute est lumière. Palamas le dit bien.

« Si elle se regard elle-même, elle voit la lumière ; si elle regarde l’objet de sa vision, c’est aussi de la lumière ; et si elle regarde le moyen qu’elle emploie pour voir, c’est là encore de la lumière ; … de sorte que celui qui voit n’en puisse distinguer ni le moyen, ni le but, ni l’essence, mais qu’il ait seulement conscience d’être lumière et de voir une lumière distincte de toute créature. »[51]

Au centre du lotus à mille pétales se trouve le vide, détail important qui s’accorde avec l’enseignement de Maximus que l’essence de Dieu reste toujours transcendante même à l’homme divinisé.

« … si Maxime affirme que l’homme devient « tout ce qu’est Dieu », il précise : « sauf l‘identité d’essence avec Lui ». Autrement dit il n’acquiert pas la nature même de Dieu, ne de­vient pas Dieu Lui-même. L’homme, vraiment, devient et est appelé dieu « tout en restant homme tout entier ».[52]

Rien ne peut être dit, finalement, au sujet de Celui qui est Ineffable. Le pratiquant ne peut qu’être présent à la Présence, ; il s’abaisse, il adore, il s’oublie devant le Saint des Saints. Cette adoration est la reconnaissance qui est bénédiction.

Le méditant peut parfois expérimenter cette adoration calme et consciente qui surgit en lui. Par rebours il y a aussi ce sentiment qu’il est lui-même connu. C’est parce que la Présence affirme le soi. De plus c’est dans la Présence que tout devient présent. Le méditant devient présent à tout et à tous. C’est parce qu’il se sent connu par tous et par Celui qui dépasse tout.

Paul fait la promesse : « A présent, nous voyons dans un miroir et de façon confuse, mais alors, ce sera face à face. A présent, ma connaissance est limitée, alors, je connaîtrai comme je suis connu. » (1 Co 13 :12)

Dieu ne cache rien, selon la tradition chrétienne. Il se donne entièrement dans celui, Jésus, qu’il envoie, et ceux qui reçoivent ce don participent à la nature du Bienfaiteur. Dieu seul peut connaître Dieu complètement. Ceux qui sont illuminés par le Verbe atteignent le plein épanouissement de leur être. Le divin les divinise. Ils connaissent Dieu et sont connus de Dieu.

La connaissance est mutuelle, une connaissance qui est un rapport interpersonnel, non pas moniste, une présence à la Présence. Qui est le connu qui est le connaisseur ? Ils se connaissent et la connaissance de l’un permet la connaissance de l’autre.

Le vide infini se trouve au centre de la plénitude. C‘est lorsque le méditant ‘se vide’, pour ainsi dire, quand les préconditions et les préconceptions disparaissent, quand en somme il participe au ‘vide’ du Dieu indicible, que la plénitude de la grâce se déferle.

Les chakras sont la faible copie de la plénitude. La stabilité du premier chakra est la contrepartie du rayonnement inépuisable de la lumière infinie; la créativité et le sentiment de soi qui est révélé dans le deuxième chakra reflète vaguement l’affirmation du soi qui surgit en la présence de Celui qui est comme une fournaise où l’énergie infinie ne dépérit jamais; l’élan du troisième chakra ressemble au rapport mutuel du connaisseur et du connu qui se tournent l’un envers l’autre ; l’engagement amoureux qui se découvre dans le quatrième chakra est le pâle reflet de l’amour divinisant qu’est Dieu; la proclamation du cinquième chakra  imite le Verbe qui résonne dans le ciel et su la terre ; l’autorité éveillée dans le sixième chakra participe à la souveraineté universelle de l’Ineffable.

Le méditant commence à expérimenter cette plénitude qui parfait tout ce qui se préparait dans les cakras. Il ne méprise pas les chakras. Au contraire, la plénitude se déverse dans tous les chakras. Alors qu’auparavant il devait s’exercer à la pratique tout se passe maintenant spontanément sans effort.  Certes, les pratiques étaient utiles car ils prédisposaient le méditant, mais maintenant c’est la spontanéité suprême qui entre en jeu.  La jouissance est pleine, dans tous les sens y compris la jouissance sexuelle. Rien ne manque. Les plaisirs des chakras assouvis révèlent le Dieu qui est plaisir.

Toutefois cela est en voie d’accomplissement. Le méditant ne fait que ressentir les arrhes de la plénitude, mais il sait en parler car il entrevoit déjà ce dont il parle.  Il se rend compte de plus en plus clairement que la poussée vers le plein éveil agissait déjà au commencement. Il attend, plus que « le garde qui attend le matin » (Ps 130 :6) le parachèvement de ce dont il expérimente déjà. Il attend l’accomplissement lorsque « dans sa propre chair il contemplera Dieu » (Jb 19 :26).

Ce n’est pas seulement de dehors qu’aura lieu l’avènement de Jésus, doctrine essentielle de la foi chrétienne. La méditation sur les chakras contribue au plérôme à la fin des temps. Le méditant sera surpris de voir ses traits adopter ceux de Jésus sans cesser d’être en même temps les siens, et surpris qu’il est façonné de nouveau à l’instar du corps glorieux de Jésus. Le deuxième avènement a lieu dans sa propre chair, et dans la chair des autres. Le règne de Dieu est advenu.

 

[1]Tara Michaël. Haṭha-yoga-pradīpikā, Traité Sanskrit de Haṭha-yoga. Paris: Fayard, 1974. p. 21, note 1.

[2]Alex Wayman. Yoga of theGuhyasamājatantra.Delhi Motilal Banarsidass, 1977. p. ix.

[3]Wayman. Yoga of theGuhyasamājatantra. p. 66.

[4]David Gordon White. The Alchemical Body.Chicago: University of Chicago Press, 1996. p. 73.

[5]George Weston Briggs. Gorakhnāth and the Kānphaṭa Yogīs. Delhi: Motilal Banarsidass1989. p. 288.

[6]Briggs. Gorakhnāth and the Kānphaṭa Yogīs. p. 257.

[7]Les seize sont : le gros orteil, le périnée, l’anus, la verge, au-dessus du nombril, le nombril, le cœur, la gorge, le palais mou, la racine de la langue, la racine des dents de devant, le front, la pointe du nez, entre les sourcils, le front et le sommet de la tête. Briggs. Gorakhnāth and the Kānphaṭa Yogīs. p. 317.

[8]Yogacūḍāmaṇi Upaniṣạd.  Edited with commentary by B. P. Tripāṭhī. Varanasi: Saṃskrtabhāratī, 1994.

[9]John Woodroffe. The Serpent Power. Madras: Ganesh & Co., 1989. p. ix.

[10]Woodroffe. The Serpent Power. p. xi.

[11]Hugh B. Urban. Tantra. Sex, Secrecy Politics and Power in the Study of Religions.Berkley and Los Angeles: University of California Press, 2003. p. 46.

[12]Sonu Shamdasani (Ed.). The Psychology of Kundalini Yoga; Notes of the Seminar given in 1932 by C. G. Jung.(1996). Princeton, NJ: Princeton University Press.p. 106, fn. 23

[13]Shamdasani. The Psychology of Kundalini Yoga. p. ix.

[14]Shamdasani. The Psychology of Kundalini Yoga. p.xxvi.

[15]Shamdasani. The Psychology of Kundalini Yoga.p. 34.

[16]“We are grateful to tantric yoga because it gives us the most differentiated forms and concepts by which we are able to express the chaotic experiences that we are actually undergoing.” Shamdasani.The Psychology of Kundalini Yoga.p. 99.

[17]Shamdasani. The Psychology of Kundalini Yoga. p. xlvi.

[18]Kundalini for the New Age; Selected Writings of Gopi Krishna. Gene Kieffer (Ed.). New York: Bantam, 1988. p. 43, cité en The Psychology of Kundalini Yoga.p. xlv.

[19]Parkman Professor of Divinity, Director, The Center for the Study of World Religions, Harvard University.

[20]Cf. le fides quaerens intellectumde S. Anselme.

[21]“Comparative theology … marks acts of faith seeking understanding which are rooted in a particular faith tradition but which, from that foundation, venture into learning from one or more other faith traditions.” Francis X. Clooney. Comparative Theology; Deep Learning Across Religious Borders. Chichester UK: Wiley-Blackwell, 2010. p. 10.

[22]Arthava-vedaXI, 8, 32. Michaël. Haṭha-yoga-pradīpikā. p. 68

[23]Śiva-saṃhitā II. Michaël. Haṭha-yoga-pradīpikā. p. 69.

[24]Michaël. Haṭha-yoga-pradīpikā. p. 65.

[25]Irénée Hausherr. ‘La Méthode d’Oraison Hésychaste’. Orientalia Christiana9 (1927) 101-209. p. 165.

[26]Fabrice Blée. The Third Desert; The story of Monastic Interreligious Dialogue. Collegeville, MN: The Liturgical Press, 2011. p. 155.

[27]Silburn.La Kuṇḍalinī. p. 31.

[28]Michaël. Haṭha-yoga-pradīpikā. p. 163.

[29]Silburn.La Kuṇḍalinī. p. 30.

[30]Shamdasani. The Psychology of Kundalini Yoga. pp. 20-21.

[31]Philip St. Romain.  Kundalini Energy and Christian Spirituality. New York: Crossroad, 1991.

[32]Blée. The Third Desert. p. 157.

[33]Blée. The Third Desert. p. 153.

[34]Blée. The Third Desert, p. 155, citant Odette Baumer-Despeigne. ‘The Spiritual Journey of Henri Le Saux–Abhishiktananda.’ Cistercian Studies18, 310-329. p. 327.

[35]André Padoux.Recherches sur la symbolique et l’énergie de la parole dans certains textes tantriques.  Paris : Institut de Civilisation Indienne, 1975.  p. 15.

[36]John R. Dupuche.  Abhinavagupta: The Kula Ritual as elaborated in chapter 29 of the Tantrāloka. Delhi: Motilal Banarsidass, 2003. p. 326.

[37]Silburn.La Kuṇḍalinī. p. 31.

[38]Tara Michaël. Haṭha-yoga-pradīpikā, Traité Sanskrit de Haṭha-yoga. Préface de Jean Filliozat. Paris: Fayard, 1974. p. 163.

[39]Silburn.La Kuṇḍalinī. p. 31, footnote 3.

[40]Silburn.La Kuṇḍalinī. p. 31.

[41]Silburn.La Kuṇḍalinī. p. 30.

[42]Irénée Hausherr. ‘La Méthode d’Oriason Hésychaste’. Orientalia Christiana, 9 (1927) 101-209. p. 165.

[43]Hausherr, I. ‘La méthode d’oraison hésychaste’, in Orientalia Christiana 9(1927) 101-209. pp. 164-­165.

[44]‘Méthode d’oraison hésychaste’, p. 164.

[45]Gorainov, I. The Message of Saint Seraphim. Oxford: Fairacres, 1977. p. 11.

 

[46]Palamas, Grégoire. Défense des saints hésychastes. Jean Meyendorff (tr. et éd.) Louvain, Spicilegium Sacrum Lovaniense, 1973. I.3.36. Vol. 1, p. 188.

[47]S. Jean de la Croix.Sentences spirituelleshttp://www.abbaye-saint-benoit.ch/saints/carmel/jeandelacroix/jeandelacroix11.htm  14 avril 2018.

[48]Grégoire de Nysse, La Vie de Moise. (tr. Jean Daniélou). Paris : Les Editions du Cerf, 1968. para. 225, p. 263.

[49]Αὐτὸςγὰρἐνηνθρώπισεν, ἵναἡμεῖςθεοποιηθῶμεν. Athanasius. De Incarnatione Verbi, 54, 3. Migne. PG, 25, p. 192B.

[50]Jean-Claude Larchet, Saint Maxime le Confesseur, Paris: Les Éditions du Cerf, 2003. p.187.

[51]Palamas, Grégoire. Défense des saints hésychastes. Jean Meyendorff (tr. et éd.) Louvain, Spicilegium Sacrum Lovaniense, 1973. II.3.36. Vol. 2, pp. 458, 460.

[52]Jean-Claude Larchet, Saint Maxime le Confesseur, Paris: Les Éditions du Cerf, 2003. p.187.

About interfaithashram

Rev. Dr. John Dupuche is a Roman Catholic Priest, a senior lecturer at MCD University of Divinity, and Honorary Fellow at Australian Catholic University. His doctorate is in Sanskrit in the field of Kashmir Shaivism. He is chair of the Catholic Interfaith Committee of the Archdiocese of Melbourne and has established a pastoral relationship with the parishes of Lilydale and Healesville. He is the author of 'Abhinavagupta: the Kula Ritual as elaborated in chapter 29 of the Tantraloka', 2003; 'Jesus, the Mantra of God', 2005; 'Vers un tantra chrétien' in 2009; translated as 'Towards a Christian Tantra' in 2009. He has written many articles. He travels to India each year. He lives in an interfaith ashram.
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