SBS Radio,
1996
Message de Pâques
Dieu aime ; donc il s’abaisse.
L’ année passée j ‘étais en Inde. Un soir, oisif, je flânais dans la rue et je suis entré dans la cour d’une école. Un professeur m’a abordé et on s’est mis à causer. Alors qu’on marchait lentement par-ci par-là dans la cour, les élevés, en passant, se baissaient et touchaient le pied ou le bas de la jambe du professeur qui accueillait ce geste avec bienveillance.
Toucher le pied du maitre. Geste ancien, geste millénaire. C’est le signe de respect envers le gourou, celui qui nous fait sortir de l’ignorance et nous conduit vers la lumière. On retrouve un geste semblable dans les évangiles. Par exemple, la femme qui embrasse les pieds de Jésus et les lave avec ses larmes parce qu’il fait preuve de la miséricorde; ou les disciples qui se prosternent devant Jésus transfiguré.
Mais on trouve aussi le contraire. Par un renversement qui choque Pierre, le chef des disciples, Jésus leur lavent les pieds. C’est le paradoxe de la foi chrétienne. Le maitre touche le pied du disciple. II aime même ce qui n’est pas aimable. Dieu sacrifice son Fils saint pour les hommes pécheurs. C’est la folie de l’amour. La folie divine n’a pas de limite. Cloué à la croix le Verbe devient muet. A la fin il y’a l‘immense cri et puis le silence.
Mais cette agonie et ce désarroi constituent en effet la Parole suprême, ce qui révèle définitivement le Dieu invisible. Le maitre indien enseigne ; on lui touche donc le pied. Dieu aime ; donc il s’abaisse.
Nelson Mandela, le président actuel du Sud-Afrique, passa vingt-sept ans en prison. Lorsqu’il fut libéré et admis au pouvoir, je m’attendais à des actes de rancune et de revanche. Il aurait pu baigner son pays dans le sang. Mais non, rien de cela. Il a prôné la réconciliation, la justice, et la miséricorde. Il n’est pas dupe, il sait gouverner, mais c’est avec souplesse et honneur. Je ne sais pas grand-chose de sa politique qui doit, d’ailleurs, changer avec les circonstances. Ses souffrances et son caractère me font impression. Il est un des grands de notre siècle. C’est sa part à la croix de Jésus qui m’affecte plus encore que les lois qu’il signe. De même quant à Yitzhak Rabin, Premier Ministre d’Israël, qui fut assassiné par un concitoyen. Je n’accepte pas tout ce qu’il a dit et fait, mais il est mort pour la paix. Voilà sa parole, son geste, sa mémoire.
Ces jours-ci nous célébrons la Paque. C’ est un évènement dans le passé, comme la création du monde, mais il est toujours présent. La puissance de des paroles de Jésus et silence de sa mort me touchent au vif.
Nos mots de tous les jours, nos actions deviennent des paroles et des gestes si l‘amour nous habite. Quittons la sagesse humaine. Suivons la folie divine.