SBS-Radio
1998
Message de Pâques
Ne soyons donc pas muets !
Très souvent depuis ces derniers mois, depuis même des années, on critique sévèrement Pie Douze qui était pape pendant la deuxième guerre mondiale. On le critique à cause de son silence. Pourquoi n’a-t-il pas condamné les abus effroyables commis contre les polonais, les juifs, les romanis et tant d’autres dans les terres envahies par les nazis. On accuse Pie Douze d’être lâche, collaborateur, antisémite, hypocrite.
Ce n’ est pas à moi de défendre le Pape. J’ aimerais parler du silence.
Dans la tempête la voix se perd. Pense-t-on vraiment que les armées allemandes auraient cessé le feu à la suite d’un discours papal ? Déjà, après la Première Guerre Mondiale on refusé d’écouter au Pape Benoît XV qui demandait aux vainqueurs de se montrer clément envers les vaincus. De nos jours qui prête l’oreille aux avertissements de Jean-Paul II. La clameur du combat étouffe la voix raisonnable et fidèle. Aux oreilles des Nazis, parler de justice serait inviter de pires injustices, comme ce qui s’est passé en Hollande. C’est le martyre de la Parole.
En ces jours de la Semaine Sainte, nous célébrons la crucifixion de Jésus, la Parole de Dieu. Lui, le Verbe en qui tout fut créé, est devenu chair et cette chair fut clouée à la croix. Condamné, mis à nu, Jésus cesse de parler. Certes, il prononce quelques phrases, mais seuls les soldats et les femmes tout près de lui peuvent l’entendre. Il ne parle plus à la foule qui l’entoure et qui se moque de lui parce qu’il est impuissant. Le Verbe est muet. On le traite en charlatan. On s’écrie: « Qu’il descende de la croix s ‘il est le Bien-aimé de Dieu! »
Mais il fallait que la Parole connaisse le silence. Jésus, Dieu homme, veut connaitre le bien et le mal, le haut et le bas, la clarté et l’heure des ténèbres. Jésus veut se faire solidaire des sans-voix, des isolés, des impuissants. Il se veut méconnu. Il veut faire partie des plus pauvres, c’est-à-dire de ceux qui ont perdu même le droit de s’exprimer et qui, de ce fait, se sentent ne plus êtres humains. Il se laisse envahir par le désespoir. Il va au tréfonds. Il s’écrie en hébreu, « Eli, Eli lama sabachthani, » « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné. » Il est capable de partager le sort des vaincus parce qu’il possède au plus profond de lui-même une vie inébranlable que seul le dénuement le plus complet peut mettre à jour. Cette Semaine sainte est sombre et glorieuse en même temps.
On n’accepte pas le silence de Pie Douze. Ne soyons donc pas muets devant les injustices de nos jours. On se réjouit que la France soit la première nation à déclarer les Droits de l ‘Homme. On se réjouit que l ‘Union Européenne soit de plus en plus un instrument de la paix. Que chaque personne proteste contre les injustices en ce pays où nous vivons, contre le traitement des aborigènes, la xénophobie, l’inégalité des richesses, le matérialisme qui veut faire de Paques une fête du chocolat. Mais on sait qu’il y a des moments dans la vie où l’on peut ne rien faire, ne rien dire, des circonstances où le silence et le temps sont la seule solution.
Lorsque Jésus fut mis au tombeau on croyait avoir fini de ses paroles et de ses actes. Le Samedi Saint est une journée qui m’est insupportable. C’est le vide, le creux. Mais j’ attends, et puis vient le Dimanche de Pâques. La vie du Christ est indomptable. Jésus a subi le pire et il s’en est sorti. Mieux encore, il en tire un avantage. Si le mal est un avantage au bien, le mal est bien impuissant.
A la Messe de Pâques on récite un poème que je cite:
« La mort et la vie s’affrontèrent en un duel prodigieux.
Le Maitre de la vie mourut; vivant, il règne.
Dis-nous, Marie Madeleine, qu’ as-tu vu en chemin?
‘J’ai vu le sépulcre du Christ vivant, j’ai vu la gloire du Ressuscite.
J’ ai vu les anges ses témoins, le suaire et les vêtements.’ »
Le poème se termine avec une prière: « Roi victorieux prends-nous en pitié. Amen. »
Que la vie indomptable du Christ vous encourage cette Pâques et vous bénisse.